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Les Amours 101 - 150
#1
CI

Picqué du nom qui me glace en ardeur,
Me souvenant de ma doulce Charite,
Ici je plante une plante d'eslite,
Qui l'esmeraude efface de verdeur.
Tout ornement de royalle grandeur,
Beaulté, sçavoir, honneur, grace, et merite,
Sont pour racine à ceste Marguerite
Qui ciel et terre emparfume d'odeur.
Divine fleur, où ma vie demeure,
La manne tombe à toute heure à toute heure
Dessus ton front sans cesse nouvelét:
Jamais de toy la pucelle n'aproche,
La mousche à miel, ne la faucille croche
Ny les ergotz d'un follastre aignelét.


CII
Depuis le jour, que le trait otieux
Grava ton nom au roc de ma memoire,
Et que l'ardeur qui flamboit en ta gloire
Me fit sentir le fouldre de tes yeulx:
Mon cuoeur attaint d'un esclair rigoreux
Pour eviter le feu de ta victoire,
S'alla cacher dans tes ondes d'ivoire,
Et soubz l'abri de tes flancz amoureux.
Là point ou peu soucieux de ma playe
De ça de là par tes flotz il s'esgaye,
Puis il se seiche aux raix de ton flambeau:
Et s'emmurant dedans leur forteresse,
Seul, palle et froid, sans retourner, me laisse,
Comme un esprit qui fuit de son tombeau.

CIII

Le mal est grand, le remede est si bref
A ma douleur qui jamais ne s'alente,
Que bas ne hault, des le bout de la plante,
Je n'ay santé, jusqu'au sommét du chef.
L'oeil qui tenoit de mes pensers la clef,
En lieu de m'estre une estoile drillante,
Parmy les flotz d'une mer violente,
Contre un orgueil a faict rompre ma néf.
Un soing meurtrier soit que je veille ou songe,
Tigre affamé, le cuoeur me mange et ronge,
Suçant tousjours le plus doulx de mon sang,
Et le penser qui me presse et represse,
Et qui jamais en repos ne me laisse,
Comme un mastin, me mord tousjours au flanc.

CIV

Amour, si plus ma fiebvre se renforce,
Si plus ton arc tire pour me blesser,
Avant mes jours, j'ay grand'peur de laisser
Le verd fardeau de cette jeune escorse.
Ja de mon cuoeur je sen moindre la force
Se transmuer pour sa mort avancer
Devant le feu de mon ardent penser,
Non en boys verd, mais en pouldre d'amorce.
Bien fut pour moy le jour malencontreux,
Quand je humay le bruvage amoureux,
Qu'à si longz traictz me versoit une oeillade:
O fortuné! si pour me secourir,
Des le jour mesme Amour m'eust faict mourir,
Sans me tenir si longuement malade.

CV

Si doulcement le souvenir me tente
De la mieleuse et fieleuse saison,
Où je perdi la loy de ma raison,
Qu'autre douleur ma peine ne contente.
Je ne veulx point en la playe de tente
Qu'Amour me fit, pour avoir guarison,
Et ne veulx point, qu'on m'ouvre la prison,
Pour affranchir autre part mon attente.
Plus que venin je fuy la liberté,
Tant j'ay grand peur de me voyr escarté
Du doulx lien qui doulcement offense:
Et m'est honneur de me voyr martirer,
Soubz un espoyr quelquefoys de tirer
Un seul baiser pour tout recompense.

CVI

Amour archer d'une tirade ront
Cent traitz sur moy, et si ne me conforte
D'un seul espoir, celle pour qui je porte
Le cuoeur aux yeulx, les pensers sus le front.
D'un Soleil part la glace qui me fond,
Et m'esbays que ma froydeur n'est morte
Au feu d'un oeil, qui d'une flamme accorte
Brulle mon cuoeur d'un ulcere profond.
En tel estat je voy languir ma vie,
Qu'aux plus chetifz ma langueur porte envie,
Tant le mal croist et le cuoeur me deffault:
Mais la douleur qui plus comble mon ame
D'un vain espoyr, c'est qu'Amour et Madame
Scavent mon mal, et si ne leur en chault.

CVII

Je vy ma Nymphe entre cent damoyselles,
Comme un Croyssant par les menuz flambeaulx,
Et de ses yeulx plus que les astres beaulx
Faire obscurcir la beaulté des plus belles.
Dedans son sein les graces immortelles,
La Gaillardize, et les freres jumeaux,
Alloyent vollant comme petitz oyseaux
Par my le verd des branches plus nouvelles.
Le ciel ravy, que son chant esmouvoyt,
Roses, et liz, et girlandes pleuvoyt
Tout au rond d'elle au meillieu de la place:
Si qu'en despit de l'hyver froydureux,
Par la vertu de ses yeulx amoureux,
Un beau printemps s'esclouit de sa face.

CVIII

Plus mile fois que nul or terrien,
J'aime ce front où mon Tyran se joüe
Et le vermeil de cette belle joüe,
Qui fait honteux le pourpre Tyrien.
Toutes beautés à mes yeus ne sont rien,
Au pris du sein qui lentement secoüe
Son gorgerin, sous qui per à per noüe
Le branle égal d'un flot Cytherien.
Ne plus, ne moins, que Juppiter est aise,
Quand de son luth quelque Muse l'apaise,
Ainsi je suis de ses chansons épris,
Lors qu'à son luth ses doits elle embesongne,
Et qu'elle dit le branle de Bourgongne,
Qu'elle disoit, le jour que je fus pris.

CIX

Celle qui est de mes yeus adorée,
Qui me fait vivre entre mile trespas,
Chassant un cerf, suivoit hier mes pas,
Com'ceus d'Adon Cyprine la dorée:
Quand une ronce en vain enamourée,
Ainsi que moi, du vermeil de ses bras,
En les baisant, lui fit couler à bas
Une liqueur de pourpre colorée.
La terre adonc, qui, soigneuse, receut
Ce sang divin, tout sus l'heure conceut
Pareille au sang une rouge fleurette:
Et tout ainsi que d'Helene naquit
La fleur, qui d'elle un beau surnom aquit,
Du nom Cassandre elle eut nom Cassandrette.

CX

Sur mes vint ans, pur d'offence, et de vice,
Guidé, mal caut, d'un trop aveugle oiseau,
Aiant encor le menton damoiseau,
Sain et gaillard je vins à ton service:
Ores forcé de ta longue malice,
Je m'en retourne avec une autre peau,
En chef grison, en perte de mon beau:
Et pour t'aimer il faut que je perisse.
Helas! que di-je? où veus-je retourner?
En autre part je ne puis sejourner,
Ni vivre ailleurs, ni d'autre amour me paître.
Demeuron donc dans le camp fortement:
Et puis qu'au moins veinqueur je ne puis estre,
Que l'arme au poin je meure honnestement.

CXI

Franc de travail une heure je n'ay peu
Vivre, depuis que les yeulx de ma Dame
Mielleusement verserent dans mon ame
Le doulx venin, dont mon cuoeur fut repeu:
Ma chere neige, et mon cher et doulx feu,
Voyez comment je m'englace et m'enflamme:
Comme la cire aux rayons d'une flamme,
Je me consume, et vous en chault bien peu.
Bien est il vray, que ma vie est heureuse
De s'escouler doulcement langoureuse,
Desoubz votre oeil, qui jour et nuict me poingt.
Mais si fault il que vostre bonté pense,
Que l'amitié d'amitié se compense
Et qu'un Amour sans frere ne croyst point.

CXII

D'amour ministre, et de perseverance,
Qui jusqu'au fond l'ame peulx esmouvoyr,
Et qui les yeulx d'un aveugle sçavoyr,
Et qui les cuoeurs voyles d'une ignorance,
Vaten ailleurs chercher ta demeurance.
Vaten ailleurs quelqu'autre decevoyr,
Je ne veulx plus chez moy te recevoyr,
Malencontreuse et meschante esperance.
Quand Juppiter, ce lasche criminel,
Teingnit ses mains dans le sang paternel,
Desrobant l'or de la terre où nous sommes,
Il te laissa, Harpye, et salle oyseau,
Cropir au fond du Pandorin vaisseau,
Pour enfieller le plus doulx miel des hommes.

CXIII

Franc de raison, esclave de fureur,
Je voys chassant une Fére sauvage,
Or sur un mont, or le long d'un rivage,
Or dans le boys de jeunesse et d'erreur.
J'ay pour ma lesse un cordeau de malheur,
J'ay pour limier un trop ardent courage,
J'ay pour mes chiens, et le soing, et la rage,
La cruaulté, la peine et la douleur.
Mais eulx voyant que plus elle est chassée,
Loing loing devant plus s'enfuit eslancée,
Tournant sur moy la dent de leur effort,
Comme mastins affamez de repaistre,
A longz morceaux se paissent de leur maistre,
Et sans mercy me traisnent à la mort.

CXIV

Le Ciel ne veut, Dame, que je joüisse
De ce dous bien que dessert mon devoir:
Aussi ne veus-je, et ne me plaît d'avoir
Sinon du mal en vous faisant service.
Puis qu'il vous plaît, que pour vous je languisse,
Je suis heureus, et ne puis recevoir
Plus grand honneur, qu'en mourant, de me voir
Faire à vos yeus de mon coeur sacrifice.
Donc si ma main, maugré moi, quelque fois
De l'amour chaste outrepasse les lois
Dans vôtre sein cherchant ce qui m'embraise,
Punissés la du foudre de vos yeus,
Et la brulés: car j'aime beaucoup mieus
Vivre sans main, que ma main vous déplaise.

CXV

Bien que six ans soyent ja coulez derriere,
Depuis le jour, que l'homicide trait
Au fond du cuoeur m'engrava le portrait
D'une humblefiere, et fierehumble guerriere,
Si suis-je heureux d'avoyr veu la lumiere
En ces ans tardz pour avoyr veu le trait
De son beau front, qui les graces attrait
Par une grace aux Graces coustumiere.
Le seul Avril de son jeune printemps,
Endore, emperle, enfrange nostre temps,
Qui n'a sceu voyr la beaulté de la belle,
Ny la vertu, qui foysonne en ses yeulx:
Seul je l'ay veue, aussi je meur pour elle,
Et plus grand heur ne m'ont donné les cieulx.

CXVI

Si ce grand Dieu le pere de la lyre,
Qui va bornant aux Indes son reveil,
Ains qui d'un oeil, mal apris au sommeil,
De ça de là, toutes choses remire,
Lamente encor, pour le bien où j'aspire,
Ne suis je heureux, puisque le trait pareil,
Qui d'oultre en oultre entame le Soleil,
Mon cuoeur entame à semblable martire?
Dea, que mon mal contente mon plaisir,
D'avoyr osé pour compaignon choysir
Un si grand Dieu: ainsi par la campagne,
Le boeuf courbé desoubz le joug pesant,
Traisne le faix plus leger et plaisant,
Quand son travail d'un aultre s'acompagne.

CXVII

Ce petit chien, qui ma maistresse suit,
Et qui jappant ne recognoyst personne,
Et cest oyseau, qui me plaintes resonne,
Au moys d'Avril, souspirant toute nuit:
Et ceste pierre, où quand le chault s'enfuit
Seule aparsoy pensive s'arraisonne,
Et ce jardin, où son poulce moyssonne!
Touts les tresors que Zephyre produit:
Et ceste dance, où la flesche cruelle
M'outreperça, et la saison nouvelle
Qui tous les ans rafraischit mes douleurs,
Et son oeillade, et sa parolle saincte,
Et dans le cuoeur sa grace que j'ay peinte,
Baignent mon sein de deux ruisseaux de pleurs.

CXVIII

Entre tes bras, impatient Roger,
Pipé du fard de magicque cautelle,
Pour refroydir ta chaleur immortelle,
Au soyr bien tard Alcine vint loger.
Opiniatre à ton feu soulager,
Ore planant, ore nouant sus elle,
Dedans le gué d'une beaulté si belle,
Toute une nuit tu apris à nager.
En peu de temps, le gracieux Zephyre,
Heureusement empoupant ton navire,
Te fit surgir dans le port amoureux:
Mais quand ma nef de s'aborder est preste
Tousjours plus loing quelque horrible tempeste
La single en mer, tant je suis malheureux.

CXIX

Je te hay, peuple, et m'en sert de tesmoing,
Le Loyr, Gastine, et les rives de Braye,
Et la Neuffaune, et l'humide saulaye,
Qui de Sabut borne l'extreme coin.
Quand je me perdz entre deux montz bien loing,
M'arraisonnant seul à l'heure j'essaye
De soulager la douleur de ma playe,
Qu'Amour encherne au plus vif de mon soing.
Là pas à pas, Dame, je rememore
Ton front, ta bouche, et les graces encore
De tes beaulx yeulx trop fidelles archers:
Puis figurant ta belle idoleifeinte
Dedans quelque eau, je sanglote une pleinte,
Qui fait gemir le plus dur des rochers.

CXX

Non la chaleur de la terre, qui fume
Béant de soif au creux de son profond,
Non l'Avantchien, qui tarit jusqu'au fond
Les tiedes eaux, qu'ardent de soif il hume:
Non ce flambeau qui tout ce monde allume
D'un bluëtter qui lentement se fond,
Bref ny l'esté, ny ses flammes ne font
Ce chault brazier qui m'embraize et consume.
Vos chastes feux, espriz de vos beaulx yeux,
Vos doulx esclairs qui rechauffent les dieux,
Seulz de mon feu eternizent la flamme:
Et soit Phebus attelé pour marcher
Devers le Cancre, ou bien devers l'Archer,
Vostre oeil me fait un esté dans mon ame.

CXXI

Ny ce coral, qui double se compasse,
Sur meinte perle entée doublement,
Ny ceste bouche où vit fertillement
Un mont d'odeurs qui le Liban surpasse,
Ny ce bel or qui frisé s'entrelasse
En mille noudz mignardez gayement,
Ny ces oeilletz esgalez unyment
Au blanc des liz encharnez dans sa face,
Ny de ce front le beau ciel esclarci,
Ny le double arc de ce double sourci,
N'ont à la mort ma vie abandonnée:
Seulz voz beaulx yeulx (*où le certain archer,
Pour me tuer, d'aguet se vint cacher*)
Devant le soir finissent ma journée.

CXXII

De toy, Paschal, il me plaist que j'escrive,
Qui de bien loing le peuple abandonnant,
Vas du Arpin les tresors moyssonnant,
Le long des bordz où ta Garonne arrive.
Hault d'une langue eternellement vive,
Son cher Paschal Tolouse aille sonnant,
Paschal Paschal Garonne resonnant,
Rien que Paschal ne responde sa rive.
Si ton Durban, l'honneur de nostre temps,
Lit quelque foys ces vers par passetemps,
Di luy, Paschal (ainsi l'aspre secousse
Qui m'a fait cheoir, ne te puisse esmouvoir):
Ce pauvre Amant estoit digne d'avoir
Une maistresse ou moins belle, ou plus doulce.

CXXIII

Dy l'un des deux, sans tant me desguiser
Le peu d'amour que ton semblant me porte:
Je ne scauroy, veu ma peine si forte,
Tant lamener ne tant petrarquiser.
Si tu le veulx, que sert de refuser
Ce doulx present dont l'espoir me conforte?
Si non, pourquoy, d'une esperance morte
Pais tu ma vie affin de l'abuser?
L'un de tes yeulx dans les enfers me ruë,
L'aultre à l'envy tour à tour s'esvertue
De me rejoindre en paradis encor:
Ainsi tes yeulx pour causer mon renaistre,
Et puis ma mort, sans cesse me font estre
Ore un Pollux, et ores un Castor.

CXXIV

L'an mil cinq cent contant quarante et six,
Dans ses cheveux une beaulté cruëlle,
(Ne sçay quel plus, las, ou cruelle ou belle)
Lia mon cuoeur de ses graces épris.
Lors je pensoy, comme sot mal appris,
Né pour souffrir une peine immortelle,
Que les crespons de leur blonde cautelle
Deux ou troys jours sans plus me tiendroyent pris:
L'an est passé, et l'autre commence ores
Où je me voy plus que devant encores
Pris dans leurs retz: et quand parfoys la mort.
Veult delacer le lien de ma peine,
Amour tousjours pour l'ennouer plus fort,
Oingt ma douleur d'une esperance vaine

CXXV

A toy chaque an j'ordonne un sacrifice
Fidelle coing, où tremblant et poureux,
Je descouvry le travail langoureux,
Que j'enduroy, Dame, en vostre service.
Un coing vrayment, plus seur ne plus propice
A deceler un tourment amoureux,
N'est point dans Cypre, ou dans les plus heureux
Vergers de Gnide, Amathonte, ou d'Eryce.
Eussé-je l'or d'un peuple ambicieux,
Tu toucherois, nouveau temple, les cieux,
Elabouré d'une merveille grande:
Et là dressant à ma Nymphe un autel,
Sur les pilliers de son nom immortel,
J'appenderoy mon ame pour offrande.

CXXVI

Le pensement, qui me fait devenir
Haultain et brave, est si doulx que mon ame
Desja desja impuissante, se pasme,
Yvre du bien qui me doibt avenir.
Sans mourir donq, pourray-je soustenir
Le doulx combat, que me garde Madame,
Puis qu'un penser si brusquement l'entame,
Du seul plaisir d'un si doulx souvenir?
Helas, Venus, que l'escume féconde,
Non loing de Cypre, enfanta dessus l'onde,
Si de fortune en ce combat je meurs,
Reçoy ma vie, o deesse, et la guide
Parmy l'odeur de tes plus belles fleurs,
Dans les vergers du paradis de Gnide.

CXXVII

Quand en songeant ma follastre j'acolle,
Laissant mes flancz sus les siens s'allonger,
Et que d'un bransle habillement leger,
En sa moytié ma moytié je recolle:
Amour adonq si follement m'affolle,
Qu'un tel abus je ne vouldroy changer,
Non au butin d'un rivage estranger,
Non au sablon qui jaunoye en Pactole.
Mon dieu, quel heur, et quel contentement,
M'a fait sentir ce faux recollement,
Changeant ma vie en cent metamorphoses:
Combien de fois doulcement irrité,
Suis-je ore mort, ore resuscité,
Parmy l'odeur de mile et mile roses?

CXXVIII

O de Nepenthe, et de lyesse pleine,
Chambrette heureuse, où deux heureux flambeaux,
Les plus ardentz du ciel, et les plus beaulx,
Me font escorte apres si longue peine.
Or je pardonne à la mer inhumaine,
Aux flotz, aux ventz, la traison de mes maulx,
Puis que par tant et par tant de travaulx,
Une main doulce à si doulx port me meine.
Adieu tourmente, à dieu naufrage, à dieu,
Vous flotz cruelz, ayeux du petit Dieu,
Qui dans mon sang a sa flesche souillée:
Ores encré dedans le sein du port,
Par voeu promis, j'appen dessus le bord
Aux dieux marins ma despouille mouillée

CXXIX

Je parangonne à ta jeune beaulté,
Qui tousjours dure en son printemps nouvelle,
Ce moys d'Avril, qui ses fleurs renouvelle,
En sa plus gaye et verte nouveaulté.
Loing devant toy fuyra la cruaulté,
Devant luy fuit la saison plus cruelle.
Il est tout beau, ta face est toute belle,
Ferme est son cours, ferme est ta loyaulté.
Il peint les champs de dix mille couleurs,
Tu peins mes vers d'un long esmail de fleurs.
D'un doulx zephyre il fait onder les plaines,
Et toy mon cuoeur d'un souspir larmoyant.
D'un beau crystal son front est rousoyant,
Tu fais sortir de mes yeulx deux fontaines.

CXXX

Ce ne sont qu'haims, qu'amorces et qu'appastz,
De son bel oeil qui m'alesche en sa nasse,
Soyt qu'elle rie, ou soyt qu'elle compasse
Au son du Luth le nombre de ses pas.
Une mynuit tant de flambeaux n'a pas,
Ny tant de sable en Euripe ne passe,
Que de beaultez embellissent sa grace,
Pour qui j'endure un millier de trespaz.
Mais le tourment, qui moyssonne ma vie,
Est si plaisant que je n'ay point envie
De m'eslongner de sa doulce langueur:
Ains face Amour, que mort encores j'aye
L'aigre doulceur de l'amoureuse playe,
Que deux beaulx yeulx m'encharnent dans le cuoeur.

CXXXI

Oeil, qui mes pleurs de tes rayons essuye',
Sourci, mais ciel des autres le greigneur,
Front estoylé, Trophée à mon Seigneur,
Qui dans ton jour ses despouilles étuye:
Gorge de marbre, où la beaulté s'appuye,
Col Albastrin emperlé de bonheur,
Tetin d'ivoyre où se niche l'honneur,
Sein dont l'espoyr mes travaulx desennuye:
Vous avez tant appasté mon desir,
Que pour souler la faim de son plaisir,
Et nuict et jour il fault qu'il vous revoye.
Comme un oyseau, quine peult sejourner,
Sans revoler, tourner, et retourner,
Aux bordz congneuz pour y trouver sa proye.

CXXXII

Haulse ton aisle, et d'un voler plus ample,
Forçant des ventz l'audace et le pouvoir,
Fay, Denisot, tes plumes esmouvoir,
Jusques au ciel où les dieux ont leur temple.
Là, d'oeil d'Argus, leurs deitez contemple,
Contemple aussi leur grace, et leur sçavoir,
Et pour ma Dame au parfait concevoir,
Sur les plus beaulx fantastique un exemple.
Moissonne apres le teint de mille fleurs,
Et les detrampe en l'argent de mes pleurs,
Que tiedement hors de mon chef je ruë:
Puis attachant ton esprit et tes yeulx
Dans le patron desrobé sur les dieux,
Pein, Denisot, la beaulté qui me tuë.

CXXXIII

Ville de Bloys, le sejour de Madame,
Le nid des Roys et de ma voulonté,
Où je suis pris, où je suis surmonté,
Par un oeil brun qui m'oultreperce l'ame:
Sus le plus hault de sa divine flamme,
Pres de l'honneur, en grave magesté,
Reveremment se sied la chasteté,
Qui tout bon cuoeur de ses vertuz enflamme.
Se loge Amour dans tes murs pour jamais,
Et son carquoys, et son arc desormais
Pendent en toy, comme autel de sa gloire:
Puisse il tousjours soubz ses plumes couver
Ton chef royal, et nud tousjours laver
Le sien crespu dans l'argent de ton Loyre.

CXXXIV

Heureuse fut l'estoille fortunée,
Qui d'un bon oeil ma maistresse apperceut:
Heureux le bers, et la main qui la sceut
Emmailloter alors qu'elle fut née.
Heureuse fut la mammelle emmannée,
De qui le laict premier elle receut,
Et bienheureux le ventre, qui conceut
Si grand beaulté de si grandz dons ornée.
Heureux les champs qui eurent cest honneur
De la voir naistre, et de qui le bon heur
L'Inde et l'Egypte heureusement excelle.
Heureux le filz dont grosse elle sera,
Mais plus heureux celuy qui la fera
Et femme et mere, en lieu d'une pucelle.

CXXXV

L'astre ascendant, soubz qui je pris naissance,
De son regard ne maistrisoyt les cieux;
Quand je nasquis il coula dans tes yeulx,
Futurs tyrans de mon obeissance.
Mon tout, mon bien, mon heur, ma cognoissance,
Vint de ses raiz: car pour nous lier mieulx,
Tant nous unit son feu presagieux,
Que de nous deux il ne fit qu'une essence,
En toy je suis, et tu es dedans moy,
En moy tu vis, et je vis dedans toy:
Ainsi noz toutz ne font qu'un petit monde.
Sans vivre en toy je tomberoy là bas:
La Salemandre, en ce point, ne vit pas
Perdant sa flamme, et le Daulphin son onde.

CXXXVI

De ton poil d'or en tressés blondissant,
Amour ourdit de son arc la ficelle,
Il me tira de ta vive estincelle,
Le doulx fier traict, qui me tient languissant.
Du premier coup j'eusse esté perissant,
Sans l'autre coup d'une flesche nouvelle,
Qui mon ulcere en santé renouvelle,
Et par son coup le coup va guarissant.
Ainsi jadis sur la pouldre Troyenne
Du souldard Grec la hache pelienne,
Du Mysien mit la douleur à fin:
Ainsi le trait que ton bel oeil me ruë,
D'un mesme coup me garit et me tuë.
Hé, quelle Parque a filé mon destin!

CXXXVII

Ce ris plus doulx que l'oeuvre d'une abeille,
Ces doubles liz doublement argentez,
Ces diamantz à double ranc plantez
Dans le coral de sa bouche vermeille,
Ce doulx parler qui les mourantz esveille,
Ce chant qui tient mes soucis enchantez,
Et ces deux cieulx sur deux astres antez,
De ma Deesse annoncent la merveille.
Du beau jardin de son printemps riant,
Naist un parfum, qui mesme l'orient
Embasmeroit de ses doulces aleines.
Et de là sort le charme d'une voix,
Qui touts raviz fait sauteler les boys,
Planer les montz, et montaigner les plaines.

CXXXVIII

Dieux, si là hault s'enthrosne la pitié,
En ma faveur ores, ores, qu'on jette
Du feu vangeur la meurtriere sagette,
Pour d'un mauvais punir la mauvaistié,
Qui seul m'espie, et seul mon amitié
Va detraquant, lors que la nuict segrette,
Et mon ardeur honteusement discrette,
Guident mes pas où m'attent ma Moytié.
Accablez, Dieux, d'une juste tempeste
L'oeil espion de sa parjure teste,
Dont le regard toutes les nuictz me suit:
Ou luy donnez l'aveugle destinée
Qui aveugla le malheureux Phinée,
Pour ne veoir rien qu'une eternelle nuict.

CXXXIX

J'iray tousjours et resvant et songeant
En la doulce heure, où je vy l'angelette,
Qui d'esperance et de crainte m'alaitte,
Et dans ses yeulx mes destins va logeant.
Quel or ondé en tresses s'allongeant
Frapoit ce jour sa gorge nouvelette,
Et sus son col, ainsi qu'une ondelette
Flotte aux zephyrs, au vent alloit nageant?
Ce n'estoit point une mortelle femme,
Que je vis lors, ny de mortelle dame
Elle n'avoit ny le front ny les yeulx:
Donques, mon cuoeur, ce ne fut chose estrange
Si je fu pris: c'estoyt vrayment un Ange
Qui pour nous prendre estoit vollé des cieulx.

CXL

Espovanté je cherche une fontaine
Pour expier un horrible songer,
Qui toute nuict ne m'a faict que ronger
L'ame effroyée au travail de ma peine.
Il me sembloyt que ma doulce inhumaine
Crioit, Amy sauve moy du danger,
Auquel par force un larron estranger
Par les forestz prisonniere m'emmeine.
Lors en sursault, où me guidoit la voix,
Le fer au poing je brossay dans le boys,
Mais en courant apres la desrobée,
Du larron mesme assallir me suis veu,
Qui me perçant le cuoeur de mon espée
M'a fait tomber dans un torrent de feu.

CXLI

Chanson

Las, je n'eusse jamais pensé
Veu les ennuiz de ma langueur,
Que tu m'eusses recompensé
D'une si cruelle rigueur:
Mais puis qu'Amour me chasse à tort,
Ma seule alegence est la mort.
Si fortuné j'eusse apperçu
Quand je te vy premierement,
Le mal que j'ai depuis receu
Pour te servir loyalement:
Mon cuoeur qui franc avoyt vescu,
N'eust pas esté pris ne vaincu.
Mais la doulceur de tes beaulx yeulx,
Cent fois asseura mon debvoir,
De me donner encore mieulx
Que les miens n'esperoient avoyr:
La vaine attente d'un tel bien
A transformé mon aise en rien.
Si tost que je vy ta beaulté,
Je me sentis naistre un desir
D'assubjetir ma loyaulté
Soubz l'empire de ton plaisir,
Et des ce jour l'amoureux trait
Au cuoeur m'engrava ton pourtrait.
Ce fut, Dame, ton bel acueil,
Qui pour me rendre serviteur,
M'ouvrit par la clef de ton oeil
Le paradis de ta grandeur,
Que ta saincte perfection
Peignit dans mon affection.
Et lors pour hostage de moy
Desja profondement blessé,
Mon cuoeur plain de loyale foy
En garde à tes yeulx je laissé:
Et fus bien aise de l'offrir,
Pour le veoyr doulcement soufrir.
Bien qu'il endure jours et nuictz
Mainte amoureuse aversité,
Le plus cruel de ses ennuiz
Luy semble une felicité:
Et ne sçauroit jamais vouloyr
Qu'autre amour le face douloyr.
Un grand rocher qui a le dos
Et les piedz toujours oultragez
Ore des vens, ore des flos
En leurs tempestes enragez,
N'est point si ferme que mon cuoeur
Contre le choc de ta rigueur.
Car luy de plus en plus aymant
Ta grace, et ton honnesteté,
Semble au pourtrait d'un diamant,
Qui pour garder sa fermeté,
Se rompt plus tost soubz le marteau,
Que se voyr tailler de nouveau.
Aussi ne l'or qui peult tenter,
Ny autre grace, ny maintien,
Ne scauroient dans mon cuoeur enter
Un autre portrait que le tien,
Et plus tost il mourroit d'ennuy
Que d'en soufrir une autre en luy.
Il ne fault point pour empescher
Qu'une autre dame en ayt sa part,
L'environner d'un grand rocher,
Ou d'une fosse, ou d'un rempart,
Amour te l'a si bien conquis
Que plus il ne peult estre aquis.
Chanson, les estoilles seront
La nuict sans les cieulx allumer,
Et plus tost les ventz cesseront
De tempester dessus la mer,
Que l'orgueil de sa cruaulté
Puisse esbranler ma loyaulté.

CXLII

Un voyle obscur par l'orizon espars
Troubloyt le ciel d'une humeur survenue,
Et l'air crevé d'une graisle menue
Frappoyt à bonds les champz de toutes partz:
Desja Vulcan les bras de ses souldardz
Hastoyt despit à leur forge cognue,
Et Juppiter dans le creux d'une nue
Armoyt sa main de l'esclair de ses dardz:
Quand ma Nymphette en simple verdugade
Cueillant des fleurs, des raiz de son oeillade
Essuya l'air grelleux et pluvieux,
Des ventz sortiz remprisonna les tropes,
Et ralenta les marteaux des Cyclopes,
Et de Jupin rasserena les yeulx.

CXLIII

En aultre part les deux flambeaux de celle
Qui m'esclairoyt sont allez faire jour,
Voyre un midi, qui d'un stable sejour,
Sans annuiter dans les cuoeurs estincelle.
Et que ne sont et d'une et d'une aultre aille
Mes deux coustez emplumez alentour?
Hault par le ciel soubz l'escorte d'Amour
Je volleroy comme un Cygne, aupres d'elle.
De ses deux raiz ayant percé le flanc,
J'empourpreroy mes plumes dans mon sang
Pour tesmoigner la peine que j'endure:
Et suis certain que ma triste langueur
Emouveroyt non seulement son cuoeur
De mes soupirs, mais une roche dure.

CXLIV

Si tu ne veulx les astres despiter
En ton malheur, ne metz point en arriere
L'humble souspir de mon humble priere:
La priere est fille de Juppiter.
Quiconque veult la priere eviter
Jamais n'acheve une jeunesse entiere,
Et voyt tousjours de son audace fiere
Jusqu'aux enfers l'orgueil precipiter.
Pour ce, orgueilleuse, eschape cest orage:
Mollis un peu le roc de ton courage
Aux longz souspirs de ma triste langueur:
Tousjours le ciel, tousjours l'eau n'est venteuse,
Tousjours ne doyt ta beaulté despiteuse
Contre ma playe endurcit sa rigueur.

CXLV

Entre mes bras qu'ores ores n'arrive
Celle qui tient ma playe en sa verdeur,
Et ma pensée en gelante tiedeur,
Sur le tapis de ceste herbeuse rive?
Et que n'est elle une Nymphe native
De quelque boys? par l'ombreuse froydeur
Nouveau Sylvain j'allenteroys l'ardeur
Du feu qui m'ard d'une flamme trop vive.
Et pourquoy, Cieulx, l'arrest de vos destins
Ne m'a fait naistre un de ces Paladins
Qui seulz portoyent en crope les pucelles?
Et qui tastant, baizant, et devisant,
Loing de l'envie, et loing du mesdisant,
Dieux, par les boys vivoyent avecques elles?

CXLVI

Que tout par tout dorenavant se mue:
Soyt desormais Amour soulé de pleurs
Des chesnes durs puissent naistre les fleurs,
Au choc des ventz l'eau ne soyt plus esmue,
Du cuoeur des rocz le miel degoute et sue,
Soyent du printemps semblables les couleurs,
L'esté soyt froid, l'hyver plein de chaleurs,
De foy la terre en toutz endroytz soyt nue:
Tout soyt changé, puisque le noud si fort
Qui m'estraignoyt, et que la seule mort
Devoyt couper, ma Dame veult deffaire.
Pourquoy d'Amour mesprises tu la loy?
Pourquoy fais tu ce qui ne se peult faire?
Pourquoy romps tu si faulsement ta foy?

CXLVII

Lune à l'oeil brun, la dame aux noyrs chevaulx
Qui çà qui là, qui hault qui bas te tournent,
Et de retours, qui jamais ne sejournent,
Traisnent ton char eternel en travaux:
A tes desseings les miens ne sont esgaux,
Car les amours qui ton cuoeur epoinçonnent,
Et ceulx aussi qui mon cuoeur aiguillonnent,
Divers souhaitz desirent à leurs maulx.
Toy mignotant ton dormeur de Latmie,
Tu vouldroys bien qu'une course endormie
Emblast le train de ton char qui s'enfuit:
Mais moy qu'Amour toute la nuit devore,
Las, des le soyr je souhaite l'Aurore,
Pour voyr le jour, que me celoyt ta nuit.

CXLVIII

Une diverse amoureuse langueur,
Sans se meurir dans mon ame verdoye,
Dedans mes yeulx une fontaine ondoye,
Un Montgibel s'enflamme dans mon cuoeur.
L'un de son feu, l'autre de sa liqueur,
Ore me gele, et ore me fouldroye,
Et l'un et l'autre à son tour me guerroye,
Sans que l'un soyt dessus l'autre vainqueur.
Fais Amour fay, qu'un des deux ayt la place,
Ou le seul feu, ou bien la seule glace,
Et par l'un d'eux metz fin à ce debat:
J'ay seigneur j'ay, j'ay de mourir envie,
Mais deux venins n'etouffent point la vie
Tandis que l'un à l'autre se combat.

CXLIX

Puis que cet oeil qui fidelement baille
Ses loix aux miens, sur les miens plus ne luict,
L'obscur m'est jour, le jour m'est une nuict,
Tant son absence asprement me travaille.
Le lit me semble un dur camp de bataille,
Rien ne me plaist, toute chose me nuit,
Et ce penser, qui me suit et resuit,
Presse mon cuoeur plus fort qu'une tenaille.
Ja prez du Loyr entre cent mille fleurs
Soullé d'ennuiz, de regretz et de pleurs,
J'eusse mis fin à mon angoysse forte,
Sans quelque dieu, qui mon oeil va tournant
Vers le païs où tu es sejournant,
Dont le bel air sans plus me reconforte.

CL

Comme le chault ou dedans Erymanthe,
Ou sus Rhodope ou sus un autre mont,
En beau crystal le blanc des neiges fond
Par sa tiedeur lentement vehemente:
Ainsi tes yeulx (*eclair qui me tourmente*)
Qui cire et neige à leur regard me font,
Touchans les miens ja distillez les ont
En un ruisseau, qui de mes pleurs s'augmente.
Herbes ne fleurs ne sejournent aupres,
Ains des Soucis, des Ifz, et des Cypres,
Ny d'un verd gay sa rive n'est point pleine.
Les autres eaux par les prez vont roulant,
Mais ceste ci par mon sein va coulant,
Qui nuict et jour bruit et rebruit ma peine.
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