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Les Amours 051 - 100
#1
LI

Cent fois le jour, à part moi je repense,
Que c'est qu'Amour, quelle humeur l'entretient,
Quel est son arc, et quelle place il tient
Dedans nos coeurs, et quelle est son essence.
Je conoi bien des astres la puissance,
Je sai, comment la mer fuit, et revient,
Comme en son Tout le Monde se contient:
De lui sans plus me fuit la conoissance.
Si sai-je bien, que c'est un puissant Dieu,
Et que, mobile, ores il prend son lieu
Dedans mon coeur, et ores dans mes veines:
Et que depuis qu'en sa douce prison
Dessous mes sens fit serve ma raison
Toujours, mal sain, je n'ai langui qu'en peines.

LII

Mile, vraiment, et mile voudroient bien,
Et mile encor, ma guerriere Cassandre,
Qu'en te laissant, je me voulusse rendre
Franc de ton ret, pour vivre en leur lien.
Las! mais mon coeur, ainçois qui n'est plus mien,
Comme un vrai serf, ne sauroit plus entendre
A qui l'apelle, et mieus voudroit atendre
Dix mile mors qu'il fût autre que tien.
Tant que la rose en l'epine naitra,
Tant que sous l'eau, la baleine paitra,
Tant que les cerfs aimeront les ramées,
Et tant qu'Amour se nourrira de pleurs,
Toujours au coeur ton nom et tes valeurs,
Et tes beautés me seront imprimées.

LIII

Avant qu'Amour, du Chaos otieux
Ouvrist le sein, qui couvoit la lumiere,
Avec la terre, avec l'onde premiere,
Sans art, sans forme, estoyent brouillez les cieulx.
Ainsi mon tout erroit seditieux
Dans le giron de ma lourde matiere,
Sans art, sans forme, et sans figure entiere,
Alors qu'Amour le perça de ses yeulx.
Il arondit de mes affections
Les petitz corps en leurs perfections,
Il anima mes pensers de sa flamme.
Il me donna la vie, et le pouvoyr,
Et de son branle il fit d'ordre mouvoyr
Les pas suyviz du globe de mon ame.

LIV

Par ne scay quelle estrange inimitié,
J'ay veu tomber mon esperance à terre,
Non de rocher, mais tendre comme verre,
Et mes desirs rompre par la moytié.
Dame où le ciel logea mon amitié,
Pour un flateur qui si laschement erre,
Et pour quoy tant me brasses tu de guerre,
Privant mon cuoeur de ta doulce pitié?
Or s'il te plaist fay moy languir en peine,
Tant que la mort me desnerve et desveine,
Je seray tien: et plus tost le Chaos
Se troublera de sa noyse ancienne,
Que par rigueur aultre amour que la tienne,
Soubz aultre joug me captive le doz.

LV

O doulx parler, dont l'appast doulcereux
Nourrit encor la faim de ma memoire,
O front, d'Amour le Trophée et la gloire
O riz sucrez, o baisers savoureux.
O cheveulx d'or, o coustaulx plantureux
De liz, d'oeilletz, de Porphyre, et d'ivoyre,
O feuz jumeaulx dont le ciel me fit boyre
A si longs traitz le venin amoureux.
O vermeillons, o perlettes encloses,
O diamantz, o liz pourprez de roses,
O chant qui peulx les plus durs esmovoyr,
Et dont l'accent dans les ames demeure.
Et dea beaultez, reviendra jamais l'heure
Qu'entre mes bras je vous puisse r'avoyr?

LVI

Verray-je plus le doulx jour qui m'apporte
Ou trefve ou paix, ou la vie ou la mort,
Pour edenter le souci, qui me mord
Le cuoeur à nud d'une lime si forte?
Verray-je plus que ma Naiade sorte
Du fond de l'eau pour m'enseigner le port?
Nourai-je plus ainsi qu'Ulysse abord
Ayant au flanc son linge pour escorte?
Verray-je plus que ces astres jumeaulx,
En ma faveur encore par les eaulx,
Montrent leur flamme à ma Caréne lasse?
Verray-je point tant de vents s'accorder,
Et calmement mon navire aborder,
Comme il souloit au havre de sa grace.

LVII

Quel dieu malin, quel astre me fit estre,
Et de misere et de tourment si plein?
Quel destin fit, que tousjours je me plain
De la rigueur d'un trop rigoreux maistre?
Quelle des Seurs, à l'heure de mon estre
Noircit le fil de mon sort inhumain?
Et quel Démon d'une senestre main
Berça mon corps quand le ciel me fit naistre.
Heureux ceulx là dont la terre a lez oz,
Heureux vous rien, que la nuict du Chaos
Presse au giron de sa masse brutalle!
Sans sentiment vostre rien est heureux:
Que suis je, las! moy chetif amoureux,
Pour trop sentir, qu'un Sisyphe ou Tantale?

LVIII

Divin Bellay, dont les nombreuses loix,
Par une ardeur du peuple separée,
Ont revestu l'enfant de Cytherée,
D'arc, de flambeau, de traitz et de carquoys:
Si le doulx feu dont chaste tu ardoys
Enflamme encor ta poitrine sacrée,
Si ton oreille encore se recrée
D'ouyr les plaints des amoureuses voix:
Oy ton Ronsard, qui sanglotte et lamente,
Palle, agité des flotz de la tourmente,
Croysant en vain ses mains devers les Dieux,
En fraisle nef, et sans voyle, et sans rame,
Et loing du bord, où pour astre sa Dame
Le conduisoyt du Phare de ses yeulx.

LIX

Quand le Soleil à chef renversé plonge
Son char doré dans le sein du viellard,
Et que la nuict un bandeau sommeillard
Des deux coustez de l'orizon alonge:
Amour adonc qui sape, mine, et ronge
De ma raison le chancelant rempart,
Pour l'assaillir à l'heure à l'heure part,
Armant son camp des ombres et du songe.
Lors ma raison, et lors ce dieu cruel,
Seulz per à per d'un choc continuel
Vont redoublant mille escarmouches fortes:
Si bien qu'Amour n'en seroit le vainqueur,
Sans mes pensers, qui luy ouvrent les portes,
Par la traison que me brasse mon cuoeur.

LX

Comme un chevreuil, quand le printemps destruit
L'oyseux crystal de la morne gelée,
Pour mieulx brouster l'herbette emmielée
Hors de son boys avec l'Aube s'en fuit,
Et seul, et seur, loing de chiens et de bruit,
Or sur un mont, or dans une vallée,
Or pres d'une onde à l'escart recelée,
Libre follastre où son pied le conduit:
De retz ne d'arc sa liberté n'a crainte,
Sinon alors que sa vie est attainte,
D'un trait meurtrier empourpré de son sang:
Ainsi j'alloy sans espoyr de dommage,
Le jour qu'un oeil sur l'avril de mon age
Tira d'un coup mille traitz dans mon flanc.

LXI

Ny voyr flamber au point du jour les roses,
Ny lis planté sus le bord d'un ruisseau,
Ny chant de luth, ny ramage d'oyseau,
Ny dedans l'or les gemmes bien encloses:
Ny des zephyrs les gorgettes descloses,
Ny sur la mer le ronfler d'un vaisseau,
Ny bal de Nymphe au gazouilliz de l'eau,
Ny de mon cuoeur mille metamorphoses:
Ny camp armé de lances herissé,
Ny antre verd de mousse tapissé,
Ny les Sylvains qui les Dryades pressent,
Et ja desja les dontent à leur gré,
Tant de plaisirs ne me donnent qu'un Pré,
Où sans espoyr mes esperances paissent.

LXII

Dedans des Prez je vis une Dryade,
Qui comme fleur s'assisoyt par les fleurs,
Et mignotoyt un chappeau de couleurs,
Eschevelée en simple verdugade.
Des ce jour là ma raison fut malade,
Mon cuoeur pensif; mes yeulx chargez de pleurs,
Moy triste et lent: tel amas de douleurs
En ma franchise imprima son oeillade.
Là je senty dedans mes yeulx voller
Un doulx venin, qui se vint escouler
Au fond de l'ame: et depuis cest oultrage,
Comme un beau lis, au moys de Juin blessé
D'un ray trop chault, languist à chef baissé,
Je me consume au plus verd de mon age.

LXIII

Quand ces beaulx yeulx jugeront que je meure,
Avant mes jours me fouldroyant là-bas,
Et que la Parque aura porté mes pas
A l'aultre flanc de la rive meilleure:
Antres et prez, et vous forestz, à l'heure,
Je vous supply, ne me desdaignez pas,
Ains donnez moy, soubz l'ombre de voz bras,
Quelque repos de paisible demeure.
Puisse avenir qu'un poëte amoureux,
Ayant horreur de mon sort malheureux,
Dans un cyprez notte cest epigramme:
Cy dessoubz gist un amant vandomoys,
Que la douleur tua dedans ce boys:
Pour aymer trop les beaux yeullx de sa dame.

LXIV

Qui vouldra voyr dedans une jeunesse,
La beaulté jointe avec la chasteté,
L'humble doulceur, la grave magesté,
Toutes vertus, et toute gentillesse:
Qui vouldra voyr les yeulx d'une deesse,
Et de noz ans la seule nouveauté,
De ceste Dame oeillade la beaulté,
Que le vulgaire appelle ma maistresse.
Il apprendra comme Amour rid et mord,
Comme il guarit, comme il donne la mort,
Puis il dira voyant chose si belle:
Heureux vrayment, heureux qui peult avoyr
Heureusement cest heur que de la voyr,
Et plus heureux qui meurt pour l'amour d'elle.

LXV

Tant de couleurs le grand arc ne varie
Contre le front du Soleil radieux,
Lors que Junon, par un temps pluvieux,
Renverse l'eau dont sa mere est nourrie:
Ne Juppiter armant sa main marrie
En tant d'esclairs ne fait rougir les cieulx,
Lors qu'il punist d'un fouldre audacieux
Les montz d'Epire, ou l'orgueil de Carie:
Ny le Soleil ne rayonne si beau,
Quand au matin il nous monstre un flambeau,
Pur, net, et clayr, comme je vy ma Dame
De cent couleurs son visage acoustrer,
Flamber ses yeulx, et claire se monstrer,
Le premier jour qu'elle ravit mon ame.

LXVI

Quand j'aperçoy ton beau chef jaunissant,
Qui l'or filé des Charites efface,
Et ton bel oeil qui les astres surpasse,
Et ton beau sein chastement rougissant:
A front baissé je pleure gemissant,
De quoy je suis (pardon digne de grace)
Soubz l'humble voix de ma rime si basse,
De tes beaultez les honneurs trahissant.
Je cognoy bien que je devroy me taire,
Ou mieux parler: mais l'amoureux ulcere
Qui m'ard le cuoeur, me force de chanter.
Doncque (mon Tout) si dignement je n'use
L'encre et la voix à tes graces vanter,
Non l'ouvrier, non, mais son destin accuse.

LXVII

Ciel, air, et vents, plains et montz descouvers,
Tertres fourchuz, et forestz verdoyantes,
Rivages tortz, et sources ondoyantes,
Taillis razez, et vous bocages verds,
Antres moussus à demyfront ouvers,
Prez, boutons, fleurs, et herbes rousoyantes,
Coustaux vineux, et plages blondoyantes,
Gastine, Loyr, et vous mes tristes vers:
Puis qu'au partir, rongé de soing et d'ire,
A ce bel oeil, l'Adieu je n'ay sceu dire,
Qui pres et loing me detient en esmoy:
Je vous supply, Ciel, ait, ventz, montz et plaines,
Tailliz, forestz, rivages et fontaines,
Antres, prez, fleurs, dictes le luy pour moy.

LXVIII

Voïant les yeus de toi, Maitresse elüe,
A qui j'ai dit, seule à mon coeur tu plais,
D'un si dous fruit mon ame je repais,
Que plus en mange, et plus en est goulüe.
Amour qui seul les bons espris englüe,
Et qui ne daigne ailleurs perdre ses trais,
M'alege tant du moindre de tes rais,
Qu'il m'a du coeur toute peine tolüe.
Non, ce n'est point une peine qu'aimer:
C'est un beau mal, et son feu dous-amer
Plus doucement qu'amerement nous brûle.
O moi deus fois, voire trois bienheureus,
S'Amour m'occit, et si avec Tibulle
J'erre là-bas sous le bois amoureus.

LXIX

L'oeil qui rendroit le plus barbare apris,
Qui tout orgueil en humblesse destrampe,
Par la vertu de ne sçay quelle trampe
Qui sainctement affine les espritz,
M'a tellement de ses beaultez espris,
Qu'autre beaulté dessus mon coeur ne rampe,
Et m'est avis, sans voyr un jour la lampe
De ses beaulx yeulx, que la mort me tient pris.
Cela vrayment, que l'air est aux oyseaulx,
Les boys aux cerfz, et aux poissons les eaux,
Son bel oeil m'est. O lumiere enrichie
D'un feu divin qui m'ard si vivement,
Pour me donner et force et mouvement,
N'este vous pas ma seulle Endelechie?

LXX

De quelle plante, ou de quelle racine,
De quel unguent, ou de quelle liqueur,
Oindroy-je bien la playe de mon cuoeur
Qui d'oz en oz incurable chemine?
Ny vers charmez, pierre, ny medecine,
Drogue, ny just, ne romproyent ma langueur,
Tant je sen moindre et moindre ma vigueur,
Ja me traisner dans la Barque voysine.
Las, toy qui scays des herbes le pouvoyr,
Et qui la playe au cuoeur m'as faict avoyr,
Guary le mal, que ta beaulté me livre:
De tes beaulx yeulx allege mon soucy,
Et par pitié retien encor ici
Ce pauvre amant qu'Amour soulle de vivre.

LXXI

Ja desja Mars ma trompe avoit choisie,
Et, dans mes vers ja françoys, devisoyt:
Sus ma fureur ja sa lance aiguizoit,
Epoinçonnant ma brave poësie.
Ja d'une horreur la Gaule estoit saisie,
Et soubz le fer ja Sene treluisoit,
Et ja Francus à son bord conduisoit
L'ombre d'Hector, et l'honneur de l'Asie,
Quand l'archerot emplumé par le dos
D'un trait certain me playant jusqu'à l'os,
De sa grandeur le sainct prestre m'ordonne:
Armes adieu. Le Myrte Paphien
Ne cede point au Laurier Delphien,
Quand de sa main Amour mesme le donne.

LXXII

Petit nombril, que mon penser adore,
Non pas mon oeil, qui n'eu onques ce bien,
Nombril de qui l'honneur merite bien,
Qu'une grand'ville on luy bastisse encore
Signe divin, qui divinement ore
Retiens encore l'Androgyne lien,
Combien et toy, mon mignon, et combien
Tes flancs jumeaulx follastrement j'honore!
Ny ce beau chef, ny ces yeulx, ny ce front,
Ny ce doulx ris; ny ceste main qui fond
Mon cuoeur en source, et de pleurs me fait riche,
Ne me sçauroyent de leur beau contenter,
Sans esperer quelque foys de taster
Ton paradis, où mon plaisir se niche.

LXXIII

Que n'ay-je, Dame, et la plume et la grace
Divine autant que j'ay la volonté,
Par mes escritz tu seroys surmonté,
Vieil enchanteur des vieulx rochers de Thrace
Plus hault encor que Pindare, ou qu'Horace,
J'appenderoys à ta divinité
Un livre enflé de telle gravité,
Que Du Bellay luy quitteroyt la place.
Si vive encor Laure par l'Univers
Ne fuit volant dessus les Thusques vers,
Que nostre siecle heureusement estime,
Comme ton nom, honneur des vers françoys,
Hault elevé par le vent de ma voix
S'en voleroyt sus l'aisle de ma rime.

LXXIV

Du tout changé ma Circe enchanteresse
Dedens ses fers m'enferre emprisonné,
Non par le goust d'un vin empoisonné,
Ny par le just d'une herbe pecheresse.
Du fin Gregeoys l'espée vangeresse,
Et le Moly par Mercure ordonné,
En peu de temps du breuvage donné,
Forcerent bien la force charmeresse,
Si qu'à la fin le Dulyche troupeau
Reprint l'honneur de sa premiere peau,
Et sa prudence auparavant peu caute:
Mais pour la mienne en son lieu reloger,
Ne me vaudroyt la bague de Roger,
Tant ma raison s'aveugle dans ma faulte.

LXXV

Les Elementz, et les Astres, à preuve
Ont façonné les raiz de mon Soleil,
Et de son teint le cinabre vermeil,
Qui ça ne là son parangon ne treuve.
Des l'onde Ibere où nostre jour s'abreuve
Jusques au lict de son premier reveil,
Amour ne voyt un miracle pareil,
N'en qui le Ciel tant de ses graces pleuve.
Son oeil premier m'apprit que c'est d'aymer:
Il vint premier ma jeunesse animer
A la vertu, par ses flammes dardées.
Par luy mon cuoeur premierement s'aisla,
Et loing du peuple à l'escart s'en vola
Jusque au giron des plus belles Idées.

LXXVI

Je parangonne à voz yeulx ce crystal,
Qui va mirer le meurtrier de mon ame:
Vive par l'air il esclate une flamme
Vos yeulx un feu qui m'est sainct et fatal.
Heureux miroer, tout ainsi que mon mal
Vient de trop voyr la beaulté qui m'enflamme:
Comme je fay, de trop mirer ma Dame
Tu languiras d'un sentiment egal.
Et toutesfoys, envieux, je t'admire,
D'aller mirer le miroer où se mire
Tout l'univers dedans luy remiré.
Va donc miroer, va donq, et pren bien garde,
Qu'en le mirant ainsi que moy ne t'arde
Pour avoir trop ses beaulx yeulx admiré.

LXXVII

J'ai cent fois épreuvé les remedes d'Ovide,
Et si je les épreuve encore tous les jours,
Pour voir, si je pourrai de mes vieilles amours,
Qui trop m'ardent le coeur, avoir l'estomac vuide:
Mais cet amadoüeur, qui me tient à la bride,
Me voïant aprocher du lieu de mon secours,
Maugré moi tout soudain fait vanoïer mon cours,
Et d'où je vins mal sain, mal sain il me reguide.
Hà, poëte Romain, il te fut bien aisé,
Quand d'une courtisane on se voit embrasé,
Donner quelque remede, affin qu'on s'en depestre:
Mais cettui là qui voit les yeux de mon Soleil,
Qui n'a de chasteté, ni d'honneur son pareil,
Plus il est son esclave, et plus il le veut estre.

LXXVIII

Ni les combats des amoureuses nuits
Ni les plaisirs que les amours conçoivent
Ni les faveurs que les amans reçoivent
Ne valent pas un seul de mes ennuis.
Heureus ennui, en toi seulet je puis
Trouver repos des maus qui me deçoivent:
Et par toi seul mes passions reçoivent
Le dous obli du torment où je suis.
Bienheureus soit mon torment qui n'empire,
Et le dous jou, sous lequel je respire,
Et bienheureus le penser soucieus,
Qui me repait du dous souvenir d'elle:
Et plus heureus le foudre de ses yeux,
Qui cuit mon coeur dans un feu qui me gelle.

LXXIX

A ton frere Paris tu sembles en beauté,
A ta soeur Polyxene en chaste conscience,
A ton frere Helenin en profete science,
A ton parjure aïeul en peu de loiauté.
A ton pere Priam en meurs de roïauté,
Au vieillart Antenor en mieleuse eloquence,
A ta tante Antigone en superbe arrogance,
A ton grand frere Hector en fiere cruauté.
Neptune n'assit onc une pierre si dure
Dans tes murs, que tu es, pour qui la mort j'endure:
Ny des Grecs outragés, l'exercite vainqueur
N'emplit tant Ilion de feus, de cris, et d'armes
De soupirs, et de pleurs, que tu combles mon coeur
De brasiers, et de morts, de sanglos et de larmes.

LXXX

Si je trépasse entre tes bras, Madame,
Il me suffit, car je ne veus avoir
Plus grand honneur, sinon que de me voir
En te baisant, dans ton sein rendre l'ame.
Celui que Mars horriblement enflamme
Aille à la guerre, et manque de pouvoir,
Et jeune d'ans, s'ébate à recevoir
En sa poitrine une Espaignole lame;
Mais moi, plus froid, je ne requier, sinon
Apres cent ans, sans gloire, et sans renom,
Mourir oisif en ton giron, Cassandre:
Car je me trompe, ou c'est plus de bonheur,
Mourir ainsi, que d'avoir tout l'honneur,
Pour vivre peu, d'un guerrier Alexandre.

LXXXI

Pour voyr ensemble et les champs et le bord,
Où ma guerriere avec mon cuoeur demeure,
Alme Soleil, demain avant ton heure,
Monte à cheval, et galope bien fort:
Ainçoys les champs, où l'amyable effort
De ses beaulx yeulx, ordonne que je meure,
Si doulcement, qu'il n'est vie meilleure
Que les souspirs d'une si doulce mort.
A costé droit, sus le bord d'un rivage,
Reluit à part l'angelique visage,
Que trop avare ardentement je veulx:
Là ne se voyot, roc, source, ny verdure,
Qui dans son teint or ne me r'affigure
L'une ses yeulx, or l'autre ses cheveux.

LXXXII

Pardonne moy, Platon, si je ne cuide
Que soubz la vouste et grande arche des dieux,
Soit hors du monde, ou au centre des lieux,
En terre, en l'eau, il n'y ayt quelque vuide.
Si l'air est plein en sa courbure humide,
Qui reçoyt donq tant de pleurs de mes yeulx,
Tant de souspirs, que je sanglote aux cieulx,
Lors qu'à mon dueil Amour lasche la bride?
Il est du vague, ou certes s'il n'en est,
D'un air pressé le comblement ne naist:
Plus tost le ciel, qui bening se dispose
A recevoir l'effect de mes douleurs,
De toutes partz se comble de mes pleurs,
Et de mes vers qu'en mourant je compose.

LXXXIII

L'onde et le feu, ce sont de la machine
Les deux seigneurs que je sen pleinement,
Seigneurs divins; et qui divinement
Ce faix divin ont chargé sus l'eschine.
Toute matiere, essence, et origine
Doibt son principe à ces deux seulement,
Touts deux en moy vivent esgallement,
En eulx je vi, rien qu'eulx je n'imagine.
Aussi de moy il ne sort rien que d'eulx,
Et tour à tour en moy naissent touts deux:
Car quand mes yeulx de trop pleurer j'appaise,
Rasserénant les flotz de mes douleurs,
Lors de mon cuoeur s'exhale une fournaise,
Puis tout soubdain recommancent mes pleurs.

LXXXIV

Si l'escrivian de la mutine armée,
Eut veu tes yeulx, qui serf me tiennent pris,
Les faictz de Mars il n'eut jamais empris,
Et le Duc Grec fut mort sans renommée.
Et si Paris, qui vit en la valée
La grand'beaulté dont son cuoeur fut espris,
Eut veu la tienne, il t'eut donné le pris,
Et sans honneur Venus s'en fut allée.
Mais s'il advient ou par le vueil des Cieulx,
Ou par le traict qui sort de tes beaulx yeulx,
Qu'en publiant ma prise, et ta conqueste,
Oultre la Tane on m'entende crier,
Iö, iö, quel myrte, ou quel laurier
Sera bastant pour enlasser ma teste?

LXXXV

Pour celebrer des astres devestuz
L'heur escoulé dans celle qui me lime,
Et pour louer son esprit, qui n'estime
Que le divin des divines vertuz:
Et ses regardz, ains traitz d'amour pointuz,
Que son bel oeil au fond du cuoeur m'imprime,
Il me fauldroyt non l'ardeur de ma rime,
Mais la fureur du Masconnoys Pontus.
Il me fauldroyt ceste chanson divine
Qui transforma sus la rive Angevine
L'olive palle en un teint plus naïf,
Et me fauldroyt un Desautelz encore,
Et cestuy là qui sa Meline adore
En vers dorez le biendisant Bayf.

LXXXVI

Estre indigent, et donner tout le sien,
Se feindre un ris, avoir le cuoeur en pleinte,
Hayr le vray, aymer la chose feinte,
Posseder tout et ne jouir de rien:
Estre delivre, et traisner son lien,
Estre vaillant, et couharder de crainte,
Vouloir mourir, et vivre par contraincte,
De cent travaulx ne recevoir un bien:
Avoir tousjours, pour un servil hommage,
La honte au front, en la main le dommage:
A ses pensers d'un courage haultain
Ourdir sans cesse une nouvelle trame,
Sont les effetz qui logent dans mon ame
L'espoir doubteux, et le tourment certain.

LXXXVII

Oeil, qui portrait dedans les miens reposes,
Comme un Soleil, le dieu de ma clarté:
Ris, qui forçant ma doulce liberté
Me transformas en cent metamorphoses:
Larme, vrayment qui mes souspirs arroses,
Quand tu languis de me veoir mal traicté:
Main, qui mon cuoeur captives arresté
Parmy ton lis, ton ivoyre et tes roses,
Je suis tant vostre, et tant l'affection
M'a peint au vif vostre perfection,
Que ny le temps, ny la mort tant soit forte,
Ne fera point qu'au centre de mon sein,
Tousjours gravéz en l'ame je ne porte
Un oeil, un ris, une larme, une main.

LXXXVIII

Si seulement l'image de la chose
Fait à noz yeulx la chose concevoir,
Et si mon oeil n'a puissance de veoir,
Si quelqu'idole au devant ne s'oppose:
Que ne m'a faict celuy, qui tout compose,
Les yeulx plus grandz, affin de mieux pouvoir
En leur grandeur la grandeur recevoir
Du simulachre, où ma vie est enclose?
Certes le ciel trop ingrat de son bien,
Qui seul la fit, et qui seul veit combien
De sa beaulté divine estoit l'idée,
Comme jaloux du tresor de son mieux,
Silla le Monde, et m'aveugla les yeulx,
Pour de luy seul seule estre regardée.

LXXXIX

Soubz le cristal d'une argenteuse rive,
Au moys d'Avril, une perle je vy,
Dont la clarté m'a tellement ravy
Qu'en mes discours aultre penser n'arrive.
Sa rondeur fut d'une blancheur naïve,
Et ses rayons treluysoyent à l'envy:
Son lustre encor ne m'a point assouvy,
Ny ne fera, non, non, tant que je vive.
Cent et cent foys pour la pescher à bas,
Tout recoursé, je devalle le bras,
Et ja desja content je la tenoye,
Sans un archer, qui du bout de son arc
A front panché me plongeant soubz le lac,
Frauda mes doigtz d'une si doulce proye.

XC

Soit que son or se crespe lentement
Ou soit qu'il vague en deux glissantes ondes,
Qui çà qui là par le sein vagabondes,
Et sur le col, nagent follastrement:
Ou soit qu'un noud diapré tortement
De maintz rubiz, et maintes perles rondes,
Serre les flotz de ses deux tresses blondes,
Je me contente en mon contentement.
Quel plaisir est ce, ainçoys quelle merveille
Quand ses cheveux troussez dessus l'oreille
D'une Venus imitent la façon?
Quand d'un bonet son chef elle adonize,
Et qu'on ne sçait (tant bien elle desguise
Son chef doubteux) s'elle est fille ou garçon?

XCI

De ses cheveulx la rousoyante Aurore
Eparsement les Indes remplissoyt,
Et ja le ciel à longz traitz rougissoyt
De meint esmail qui le matin decore,
Quand elle veit la Nymphe que j'adore
Tresser son chef, dont l'or, qui jaunissoit,
Le crespe honneur du sien esblouissoit,
Voire elle mesme et tout le ciel encore.
Lors ses cheveux vergongneuse arracha,
Si qu'en pleurant sa face elle cacha,
Tant la beaulté des beaultez luy ennuye:
Et ses souspirs parmy l'air se suyvantz,
Troys jours entiers enfanterent des ventz,
Sa honte un feu, et ses yeulx une pluye.

XCII

Avéques moi pleurer vous devriés bien,
Tertres bessons, pour la facheuse absence
De cette là, qui fut par sa presence
Vôtre Soleil, ainçois qui fut le mien.
Las! de quels maus, Amour, et de combien
Une beauté ma peine recompense!
Quand plein de honte à toute heure je pense
Qu'en un moment j'ai perdu tout mon bien.
Or, à dieu donc beauté qui me dédaigne:
Quelque rocher, quelque bois, ou montaigne
Vous pourra bien éloigner de mes yeus:
Mais non du coeur, que pront il ne vous suive,
Et que dans vous, plus que dans moi, ne vive,
Comme en la part qu'il aime beaucoup mieus.

XCIII

Tout me déplait, mais rien ne m'est si gref,
Que ne voir point les beaus yeus de ma Dame,
Qui des plaisirs les plus dous de mon ame
Avéques eus ont emporté la clef.
Un torrent d'eau s'écoule de mon chef:
Et tout confus de soupirs je me pâme,
Perdant le feu, dont la drillante flame
Seule guidoit de mes pensers la nef.
Depuis le jour, que je senti sa braise,
Autre beauté je n'ai veu, qui me plaise,
Ni ne verrai. Mais bien puissai-je voir
Qu'avant mourir seulement cette Fere
D'un seul tour d'oeil promette un peu d'espoir
Au coup d'Amour, dont je me desespere.

XCIV

Quand je vous voi, ou quand je pense en vous,
Je ne sçai quoi dans le coeur me fretille,
Qui me pointelle, et tout d'un coup me pille
L'esprit emblé d'un ravissement dous.
Je tremble tout de nerfs et de genous:
Comme la cire au feu, je me distile,
Sous mes souspirs: et ma force inutile
Me laisse froid, sans haleine et sans pous.
Je semble au mort, qu'on devale en la fosse,
Ou à celui qui d'une fievre grosse
Perd le cerveau, dont les esprits mués
Révent cela, qui plus leur est contraire.
Ainsi, mourant, je ne sçauroi tant faire,
Que je ne pense en vous, qui me tués.

XCV

Morne de cors, et plus morne d'espris
Je me trainoi' dans une masse morte,
Et sans sçavoir combien la Muse aporte
D'honneur aus siens, je l'avois à mépris:
Mais aussi tôt, que de vous je m'épris,
Tout aussi tôt vôtre oeil me fut escorte
A la vertu, voire de telle sorte
Que d'ignorant je devin bien apris.
Donques mon Tout, si je fai quelque chose,
Si dignement de vos yeus je compose,
Vous me causés vous mesmes ces effets.
Je pren de vous mes graces plus parfaites,
Car je suis manque, et dedans moi vous faites,
Si je fai bien, tout le bien que je fais.

XCVI

Las! sans la voir, à toute heure je voi
Cette beauté dedans mon coeur presente:
Ni mont, ni bois, ni fleuve ne m'exente
Que par pensée elle ne parle à moi.
Dame, qui sais ma constance et ma foi,
Voi, s'il te plait, que le tans qui s'absente
Depuis set ans en rien ne desaugmente
Le plaisant mal que j'endure pour toi.
De l'endurer lassé je ne suis pas,
Ni ne seroi', tombassai-je là bas,
Pour mile fois en mile cors renaitre:
Mais de mon coeur, sans plus, je suis lassé,
Qui me déplait, et qui plus ne peut estre
Mien, comme il fut, puis que tu l'as chassé.

XCVII

Dans un sablon la semence j'épan,
Je sonde en vain les abymes d'un goufre:
Sans qu'on m'invite à toute heure je m'oufre,
Et sans loïer mon âge je dépan.
A son portrait pour un veu je m'apan:
Devant son feu mon coeur se change en soufre,
Et pour ses yeus cruellement je soufre
Dis mile maus, et d'un ne me repan.
Qui sçauroit bien, quelle trampe a ma vie,
D'estre amoureus n'auroit jamais envie.
Je tremble j'ars, je me pai d'un amer,
Qui plus qu'aluine est rempli d'amertume:
Je vi d'ennui, de deuil je me consume:
En tel estat je suis pour trop aimer.

XCVIII

Devant les yeus, nuit et jour, me revient
L'idole saint de l'angelique face,
Soit que j'écrive, ou soit que j'entrelasse
Mes vers au luth, toujours il m'en souvient.
Voiés pour dieu, comme un bel oeil me tient
En sa prison, et point ne me delasse;
Et comme il prend mon coeur dedans sa nasse,
Qui de pensée, à mon dam, l'entretient.
O le grand mal, quand une affection
Peint nôtre esprit de quelque impression!
J'enten alors que l'Amour ne dédaigne
Suttilement l'engraver de son trait:
Toujours au coeur nous revient ce portrait,
Et maugré nous toujours nous acompaigne.

XCIX

Chanson

D'un gosier machelaurier
J'oi crier
Dans Lycofron ma Cassandre,
Qui profetise aus Troïens
Les moïens
Qui les tapiront en cendre.
Mais ces pauvres obstinés,
Destinés
Pour ne croire à ma Sibylle,
Virent, bien que tard, apres,
Les feus Grecs
Forcenés parmi leur ville.
Aïans la mort dans le sein,
De leur main.
Plomboient leur poitrine nue:
Et tordant leurs cheveux gris,
De lons cris
Pleuroient, qu'ils ne l'avoient creüe.
Mais leurs cris n'eurent pouvoir
D'émouvoir
Les Grecs si chargés de proïe,
Qu'ils ne laisserent sinon,
Que le nom
De ce qui fut jadis Troïe.
Ainsi pour ne croire pas,
Quand tu m'as
Prédit ma peine future,
Et que je n'aurois en don
Pour guerdon
De t'aimer, que la mort dure,
Un grand brasier sans repos,
Et mes os
Et mes nerfs, et mon coeur brûle:
Et pour t'amour j'ai receu
Plus de feu,
Que ne fit Troïe incredule.

C

Apres ton cours je ne haste mes pas
Pour te souiller d'une amour deshonneste:
Demeure donq: le Locroys m'amonneste
Aux bords Gyrez de ne te forcer pas.
Neptune oyant ses blasphemes d'abas,
Accabla là son impudique teste
D'un grand rocher au fort de la tempeste.
Le ciel conduit le meschant au trespas.
Il te voulut, le meschant, violer,
Lors que la peur te faisoit acoller
Les piedz vangeurs de sa Grecque Minerve:
Moy je ne veulx qu'à ta grandeur offrir
Ce chaste cuoeur, s'il te plaist de souffrir
Qu'en l'immolant de victime il te serve.
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