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Normale Version: Les Amours 151 - 200
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CLI

De soingz mordentz et de soucis divers,
Soyt sans repos ta paupiere eveillée,
Ta levre soyt d'un noyr venin mouillée,
Tes cheveulx soyent de viperes couvers.
Du sang infait de ces groz lezards vers
Soyt ta poictrine et ta gorge souillée,
Et d'une oeillade obliquement rouillée
Tant que vouldras guigne moy de travers.
Tousjours au ciel je leveray la teste,
Et d'un escrit qui bruit comme tempeste
Je foudroyray de tes Monstres l'effort:
Autant de foys que tu seras leur guide
Pour m'assaillir dans le seur de mon fort;
Autant de foys me sentiras Alcide.

CLII

De ceste doulce et fielleuse pasture,
Dont le surnom s'appelle trop aymer,
Qui m'est et sucre, et riagas amer,
Sans me souler je pren ma nourriture.
Car ce bel oeil, qui force ma nature,
D'un si long jeun m'a tant faict epasmer,
Que je ne puis ma faim desaffamer,
Qu'au seul regard d'une vaine peinture.
Plus je la voy, moins souler je m'en puis,
Un vray Narcisse en misere je suis:
Hé qu'Amour est une cruelle chose!
Je cognoy bien qu'il me fera mourir,
Et si ne puis ma douleur secourir,
Tant j'ay sa peste en mes veines enclose.

CLIII

Que laschement vous me trompez, mes yeulx,
Enamourez d'une figure vaine:
O nouveaulté d'une cruelle peine,
O fier destin, ô malice des cieulx.
Fault il que moy de moymesme envieux,
Pour aymer trop les eaux d'une fontaine,
Je brusle apres une image incertaine,
Qui pour ma mort m'accompaigne en toutz lieux?
Et quoy fault il que le vain de ma face,
De membre à membre amenuiser me face,
Comme une cire aux raiz de la chaleur?
Ainsi pleuroyt l'amoureux Cephiside,
Quand il sentit dessus le bord humide,
De son beau sang naistre une belle fleur.

CLIV

En ma douleur, las chetif, je me plais,
Soyt quand la nuict les feux du ciel augmente,
Ou quand l'Aurore enjonche d'Amaranthe
Le jour meslé d'un long fleurage espais.
D'un joyeux dueil sans faim je me repais:
En quelque part où seulet je m'absente,
Devant mes yeulx je voy tousjours presente,
Celle qui cause et ma guerre, et ma paix.
Pour l'aymer trop egalement j'endure
Ore un plaisir, ore une peine dure,
Qui d'ordre egal viennent mon cuoeur saisir:
Et d'un tel miel mon absynthe est si pleine,
Qu'autant me plaist le plaisir que la peine,
La peine autant comme fait le plaisir.

CLV

Or que Juppin epoint de sa semence,
Hume à longz traitz les feux accoustumez,
Et que du chault de ses rains allumez,
L'humide sein de Junon ensemence:
Or que la mer, or que la vehemence
Des ventz fait place aux grandz vaisseaux armez,
Et que l'oyseau parmy les boys ramez
Du Thracien les tançons recommence:
Or que les prez, et ore que les fleurs,
De mille et mille et de mille couleurs,
Peignent le sein de la terre si gaye,
Seul, et pensif, aux rochers plus segretz,
D'un cuoeur muét je conte mes regretz,
Et par les boys je voys celant ma playe.

CLVI

Ayant par mort mon cuoeur desalié
De son subject, et l'estincele esteinte
J'alloy chantant, et la chorde desceinte,
Qui si long temps m'avoyt ars, et lié
Puis je disoy, Et quelle aultre moytié,
Apres la mort de ma moytié si saincte,
D'un nouveau feu, et d'une neuve estrainte,
Ardra, noura ma seconde amitié?
Quand je senti le plus froid de mon ame
Se rembraser d'une nouvelle flamme,
Encordelée es retz Idaliens:
Amour reveult pour eschauffer ma glace,
Qu'aultre oeil me brusle, et qu'aultre main m'enlasse,
O flamme heureuse, o plus qu'heureux liens.

CLVII

Puissé-je avoir ceste Fére aussi vive
Entre mes bras, qu'elle est vive en mon cuoeur:
Un seul moment gariroit ma langueur,
Et ma douleur feroit aller à rive.
Plus elle court, et plus elle est fuytive,
Par le sentier d'audace, et de rigueur,
Plus je me lasse, et recreu de vigueur,
Je marche apres d'une jambe tardive.
Au moins escoute et rallente tes paz:
Comme veneur je ne te poursuy pas,
Ou comme archer qui blesse à l'impourveue:
Mais comme amy piteusement touché
Du fer cruel, qu'Amour m'a decoché,
Faisant un trait des beaulx raiz de ta veue.

CLVIII

Contre le ciel mon cuoeur estoit rebelle,
Quand le destin, que forçer je ne puis
Me traisna voyr la Dame à qui je suis,
Ains que vestir ceste escorce nouvelle.
Un chaud adonq de moelle en moëlle,
De nerfz en nerfz, de conduitz en conduitz,
Vint à mon cuoeur, dont j'ay vescu depuis,
Or en plaisir, or en peine cruelle.
Si qu'en voyant ses beaultez, et combien
Elle est divine, il me resouvint bien
L'avoir jadis en paradis laissée;
Car des le jour que j'en refu blessé,
Soit pres ou loing, je n'ay jamais cessé
De l'adorer de fait, ou de pensée.

CLIX

Voyci le bois, que ma sainte Angelette
Sus le printemps anime de son chant.
Voyci les fleurs que son pied va marchant,
Lors que pensive elle s'esbat seullette.
Iö voici la prée verdelette,
Qui prend vigueur de sa main la touchant,
Quand pas à pas pillarde va cherchant
Le bel esmail de l'herbe nouvelette.
Ici chanter, là pleurer je la vy,
Ici soubrire, et là je fus ravy
De ses beaulx yeulx par lesquelz je desvie:
Ici s'asseoir, là je la vi dancer:
Sus le mestier d'un si vague penser
Amour ourdit les trames de ma vie.

CLX

Saincte Gastine, heureuse secretaire
De mes ennuis, qui respons en ton bois,
Ores en haulte, ores en basse voix,
Aux longz souspirs que mon cuoeur ne peult taire:
Loyr, qui refrains la course voulontaire
Du plus courant de tes flotz vandomoys,
Quand acuser ceste beaulté tu m'ois,
De qui tousjours je m'affame et m'altere:
Si dextrement l'augure j'ay receu,
Et si mon oeil ne fut hyer deceu
Des doulx regardz de ma doulce Thalie,
Dorenavant poete me ferez,
Et par la France appellez vous serez,
L'un mon laurier, l'aultre ma Castalie.

CLXI

En ce pandant que tu frappes au but
De la vertu, qui n'a point sa seconde,
Et qu'à longz traitz tu t'enyvres de l'onde
Que l'Ascrean entre les Muses but,
Ici, Bayf, où le mont de Sabut
Charge de vins son espaulle féconde,
Pensif je voy la fuite vagabonde
Du Loyr qui traisne à la mer son tribut.
Ores un antre, or un desert sauvage,
Ore me plaist le segret d'un rivage,
Pour essayer de tromper mon ennuy:
Mais quelque horreur de forest qui me tienne,
Faire ne puis qu'Amour tousjours ne vienne,
Parlant à moy, et moy tousjours à luy.

CLXII

Quel bien auray-je apres avoir esté
Si longuement privé des yeulx de celle,
Qui le Soleil de leur vive estincelle
Rendroyent honteux au plus beau jour d'Esté?
Et quel plaisir, voyant le ciel vousté
De ce beau front, qui les beaultez recelle,
Et ce col blanc, qui de blancheur excelle
Un mont de laict sus le jonc cailloté?
Comme du Grec la troppe errante et sotte,
Afriandée aux doulceurs de la Lote,
Sans plus partir vouloyent là séjourner:
Ainsi j'ay peur, que ma trop friande ame,
R'affriandée aux doulceurs de Madame
Ne veille plus dedans moy retourner.

CLXIII

Puis que je n'ay pour faire ma retraitte.
Du Labyrinth qui me va seduysant,
Comme Thesée, un filet conduysant
Mes paz doubteux dans les erreurs de Crete:
Eussé-je au moins une poinctrine faicte,
Ou de crystal, ou de verre luysant,
Lors tu serois dedans mon cuoeur lisant,
De quelle foy mon amour est parfaite.
Si tu sçavois de quelle affection
Je suis captif de ta perfection,
La mort seroit un confort à ma plainte:
Et lors peult-estre esprise de pitié,
Tu pousserois sur ma despouille esteinte,
Quelque souspir de tardive amitié.

CLXIV

Hà, Belacueil, que ta doulce parolle
Vint traistrement ma jeunesse offenser
Quand au premier tu l'amenas dancer,
Dans le verger, l'amoureuse carolle.
Amour adonq me mit à son escolle,
Ayant pour maistre un peu sage penser,
Qui des le jour me mena commencer
Le chapelet de la danse plus folle.
Depuis cinq ans dedans ce beau verger,
Je voys balant avecque faulx danger,
Soubz la chanson d'Allegez moy Madame
Le tabourin se nommoit fol plaisir,
La fluste erreur, le rebec vain desir,
Et les cinq pas la perte de mon ame.

CLXV

En escrimant un Démon m'eslança
Le mousse fil d'une arme rabatue,
Qui de sa pointe aux aultres non pointue,
Jusques à l'os le coulde m'offença.
Ja tout le bras à seigner commença,
Quand par pitié la beaulté qui me tue,
De l'estancher soigneuse s'evertuë,
Et de ses doigtz ma playe elle pança.
Las, di-je lors, si tu as quelque envie
De soulager les playes de ma vie,
Et luy donner sa premiere vigueur,
Non ceste ci, mais de ta pitié sonde
L'aspre tourment d'une aultre plus profonde,
Que vergongneux je cele dans mon cuoeur.

CLXVI

Tousjours des bois la syme n'est chargée,
Soubz les toysons d'un hyver éternel,
Tousjours des Dieux le fouldre criminel
Ne darde en bas sa menace enragée.
Tousjours les ventz, tousjours la mer d'Egée
Ne gronde pas d'un orage cruel:
Mais de la dent d'un soing continuel,
Tousjours tousjours ma vie est oultragée.
Plus je me force à le vouloir tuer,
Plus il renaist pour mieux s'esvertuer
De féconder une guerre en moymesme.
O fort Thebain, si ta serve vertu
Avoit encor ce monstre combatu,
Ce seroit bien de tes faitz le treiziesme.

CLXVII

Je veus brusler pour m'en voler aux cieux,
Tout l'imparfait de ceste escorce humaine,
M'eternisant, comme le filz d'Alcméne,
Qui tout en feu s'assit entre les Dieux.
Ja mon esprit chatouillé de son mieux,
Dedans ma chair, rebelle se promeine,
Et ja le bois de sa victime ameine
Pour s'enflammer aux rayons de tes yeulx.
O sainct brazier, ô feu chastement beau,
Las, brusle moy d'un si chaste flambeau
Qu'abandonnant ma despouille cognue,
Nét, libre, et nud, je vole d'un plein sault,
Oultre le ciel, pour adorer là hault
L'aultre beaulté dont la tienne est venue.

CLXVIII

Ce fol penser pour s'en voler plus hault,
Apres le bien que haultain je desire,
S'est emplumé d'ailles joinctes de cire,
Propres à fondre aux raiz du premier chault.
Luy fait oyseau, dispost de sault en sault,
Poursuit en vain l'object de son martire,
Et toy, qui peux, et luy doys contredire,
Tu le vois bien, Raison, et ne t'en chault.
Soubz la clarté d'une estoile si belle,
Cesse, penser, de hazarder ton aisle,
Ains que te voir en bruslant deplumer:
Car pour estaindre une ardeur si cuizante,
L'eau de mes yeulx ne seroit suffisante,
Ny suffisants toutz les flotz de la mer.

CLXIX

Or que le ciel, or que la terre est pleine
De glaz, de graille esparse en tous endrois,
Et que l'horreur des plus frigoreux mois
Fait herisser les cheveux de la plaine,
Or que le vent, qui mutin se promeine,
Rompt les rochers, et desplante les bois,
Et que la mer redoublant ses abois,
Contre les bordz sa plus grand rage ameine,
Amour me brusle, et l'hyver froidureux,
Qui gele tout, de mon feu chaleureux
Ne gele point l'ardeur, qui tousjours dure:
Voyez, Amantz, comme je suis traitté,
Je meurs de froid au plus chault de l'Esté,
Et de chaleur au cuoeur de la froidure.

CLXX

Je ne suis point, Muses, acoustumé
De voir la nuict vostre dance sacrée:
Je n'ay point beu dedans l'onde d'Ascrée,
Fille du pied du cheval emplumé.
De tes beaulx raiz chastement allumé
Je fu poëte: et si ma voix recrée,
Et si ma lyre, ou si ma rime agrée,
Ton oeil en soit, non Parnase, estimé.
Certes le ciel te debvoit à la France,
Quand le Thuscan, et Sorgue, et sa Florence,
Et son Laurier engrava dans les cieux:
Ore trop tard beaulté plus que divine,
Tu vois nostre âge, helas, qui n'est pas digne
Tant seulement de parler de tes yeulx.

CLXXI

Ny les desdaingz d'une Nymphe si belle,
Ny le plaisir de me fondre en langueur,
Ny la fierté de sa doulce rigueur,
Ny contre amour sa chasteté rebelle,
Ny le penser de trop penser en elle,
Ny de mes yeulx la fatale liqueur,
Ny mes souspirs messagers de mon cuoeur,
Ny de ma flamme une ardeur eternelle,
Ny le desir qui me lime et me mord,
Ny voir escrite en ma face la mort,
Ny les erreurs d'une longue complainte,
Ne briseront mon cuoeur de diamant,
Que sa beaulté n'y soit tousjours emprainte,
Belle fin fait qui meurt en bien aymant.

CLXXII

Dedans le lit où mal sain je repose,
Presque en langueur Madame trespassa
Au moys de Juin, quand la fiebvre effaça
Son teint d'oeilletz, et ses lévres de rose
Une vapeur avec sa fiebvre esclose,
Entre les draps son venin delaissa,
Qui par destin, diverse me blessa
D'une autre fiebvre en mes veines enclose.
L'un apres l'autre elle avoyt froyd et chault,
Le froyd, le chault jamais ne me default,
Et quand l'un croyst l'autre ne diminue:
L'aspre tourment tousjours ne la tentoyt,
De deux jours l'un sa fiebvre s'allentoyt,
Las, mais la mienne est tousjours continue.

CLXXIII

O traitz fichez dans le but de mon ame,
O folle emprise, ô pensers repensez,
O vainement mes jeunes ans passez,
O miel, ô fiel, dont me repaist Madame,
O chault, ô froyd, quilm' englace et m'enflamme,
O promptz desirs d'esperance cassez,
O doulce erreur, ô paz en vain trassez,
O montz, ô rocz, que ma douleur entame,
O terre, ô mer, chaos, destins et cieulx,
O nuit; ô jour, ô Manes stygieux,
O fiere ardeur, ô passion trop forte:
O vous Démons, et vous divins Espritz,
Si quelque amour quelque foys vous a pris,
Voyez pour dieu quelle peine je porte.

CLXXIV

Las, force m'est qu'en brullant je me taise,
Car d'autant plus qu'esteindre je me veux,
Plus le desir me r'allume les feux,
Qui languissoyent desoubz la morte braize
Si suis-je heureux (et cela me rapaize)
De plus soufrir que soufrir je ne peulx,
Et d'endurer le mal dont je me deulx,
Je me deulx, non, mais dont je suis bien aise.
Par ce doulx mal j'adoray la beaulté,
Qui me liant d'une humble cruaulté
Me desnoua les liens d'ignorance.
Par luy me vint ce vertueux penser,
Qui jusqu'au ciel fit mon cuoeur eslancer,
Aillé de foy, d'amour et d'esperance.

CLXXV

Amour et Mars sont presque d'une sorte,
L'un en plein jour, l'autre combat de nuict,
L'un aux rivaux, l'autre aux gensdarmes nuit,
L'un rompt un huis, l'autre rompt une porte.
L'un finement trompe une ville forte,
L'autre coyment une garde seduict:
L'un un butin, l'autre le gaing poursuit,
L'un deshonneur, l'autre dommage apporte.
L'un couche à terre, et l'autre gist souvent
Devant un huis à la froydeur du vent:
L'un boyt meinte eau, l'autre boyt meinte larme.
Mars va tout seul, les Amours vont touts seulz:
Qui vouldra donc ne languir paresseux,
Soyt l'un ou l'autre, amoureux ou gendarme.

CLXXVI

Jamais au cuoeur ne sera que je n'aye,
Soyt que je tombe en l'obly du cercueil,
Le souvenir du favorable acueil,
Qui regarit et rengregea ma playe.
Tant ceste là, pour qui cent mortz j'essaye,
Me saluant d'un petit riz de l'oeil,
Si doulcement satisfait à mon dueil,
Qu'un seul regard les interestz m'en paye.
Si donc le bien d'un esperé bon jour,
Plein de caresse, apres un long sejour,
En cent nectars peult enyvrer mon ame,
Quel paradis m'apporteront les nuictz,
Où se perdra le rien de mes ennuiz,
Evanouy dans le sein de Madame?

CLXXVII

Au cuoeur d'un val, où deux ombrages sont,
Dans un destour, de loing j'avisay celle,
Dont la beaulté dedans mon cuoeur se cele,
Et les douleurs m'apparoyssent au front.
Des boys toffuz voyant le lieu profond,
J'armay mon cuoeur d'asseurance nouvelle,
Pour luy chanter les maulx que j'ay pour elle,
Et les tourmentz que ses beaulx yeulx me font.
En cent façons, desja, desja ma langue
Avantpensoyt les motz de sa harangue,
Ja soulageant de mes peines le faix,
Quand un Centaure envieux sur ma vie
L'ayant en crope au galop l'a ravie,
Me laissant seul, et mes criz imparfaitz.

CLXXVIII

Veufve maison des beaulx yeulx de Madame,
Qui pres et loing me paissent de douleur,
Je t'acompare à quelque pré sans fleur,
A quelque corps orfelin de son ame.
L'honneur du ciel n'est-ce pas ceste flamme
Qui donne aux dieux et lumiere et chaleur?
Ton ornement n'est ce pas la valeur
De son bel oeil, qui tout le monde enflamme?
Soyent tes buffetz chargez de masse d'or,
Et soyent tes flancz empeinturez encor
De mainte histoyre en filz d'or enlassée:
Cela, Maison, ne me peult resjouir,
Sans voyr en toy ceste Dame, et l'ouyr,
Que j'oy tousjours, et voy dans ma pensée.

CLXXIX

Puis qu'aujourdhuy pour me donner confort,
De ses cheveulx ma Maistresse me donne,
D'avoyr receu, mon cuoeur, je te pardonne,
Mes ennemis au dedans de mon fort.
Non pas cheveux, mais un lien bien fort,
Qu'Amour me lasse, et que le ciel m'ordonne,
Où franchement captif je m'abandonne,
Serf volontaire, en volontaire effort.
D'un si beau crin le dieu que Déle honore,
Son col de laict blondement ne decore,
Ny les flambeaux du chef Egyptien,
Quand de leurs feux les astres se couronnent,
Maugré la nuict ne treluysent si bien,
Que ces cheveux qui mes bras environnent.

CLXXX

Je m'assuroy qu'au changement des cieulx
Cest an nouveau romproyt ma destinée,
Et que sa trace, en serpent retournée,
Adoulciroyt mon travail soucieux:
Mais plus qu'il volte en un rond pluvieux
Ses frontz lavez d'une humide journée,
Cela me dit qu'au cours de ceste année
Je pleuveray ma vie par les yeulx.
Las, toy qui es de moy la quinte essence,
De qui l'humeur sur la mienne a puissance,
Ou de tes yeulx serene mes douleurs,
Ou bien les miens alambique en fontaine,
Pour estoufer le plus vif de ma peine,
Dans le ruisseau, qui naistra de mes pleurs.

CLXXXI

Seconde Aglaure, advienne que l'Envie
Rouille ton cuoeur traistrement indiscret,
D'avoyr osé publier le secret,
Qui bienheuroyt le bonheur de ma vie.
Fiere à ton col Tisiphone se lie,
Qui d'un remors, d'un soing et d'un regret,
Et d'un fouet, d'un serpent, et d'un trait,
Sans se lasser punisse ta folie.
En ma faveur ce vers injurieux
Suyve l'horreur du despit furieux,
Dont Archiloc aiguiza son ïambe:
Et mon courroux t'ourdisse le licol
Du fil meurtrier, que le meschant Lycambe,
Pour se saulver estraignit à son col.

CLXXXII

En nul endroyt, comme a chanté Virgile,
La foy n'est seure, et me l'a fait scavoyr
Ton jeune cuoeur, mais vieil pour decevoyr,
Rompant la sienne infamement fragile.
Tu es vrayment et sotte, et mal habile,
D'assubjettir les cuoeurs à ton pouvoyr,
Jouet à vent, flot prompt à s'esmouvoyr,
Beaulté trop belle en ame trop mobile.
Helas, Amour, si tu as quelque foys
Haussé ton vol soubz le vent de ma voix,
Jamais mon cuoeur de son coeur ne racointes.
Puisse le ciel sur sa langue envoyer
Le plus aigu de sa fouldre à troys pointes
Pour le payment de son juste loyer.

CLXXXIII

Son chef est d'or, son front est un tableau
Où je voy peint le gaing de mon dommage,
Belle est sa main, qui me fait devant l'age,
Changer de teint, de cheveulx, et de peau.
Belle est sa bouche, et son soleil jumeau,
De neige et feu s'embellit son visage,
Pour qui Juppin reprendroyt le plumage,
Ore d'un Cygne, or le poyl d'un toreau.
Doulx est son ris, qui la Meduse mesme
Endurciroyt en quelque roche blesme,
Vangeant d'un coup cent mille cruaultez.
Mais tout ainsi que le Soleil efface
Les moindres feux: ainsi ma foy surpasse
Le plus parfaict de toutes ses beaultez.

CLXXXIV

Tousjours l'erreur, qui seduit les Menades,
Ne deçoyt pas leurs espritz estonnez,
Tousjours au son des cornetz entonnez,
Les mons Troyens ne foulent de gambades.
Tousjours le Dieu des vineuses Thyades,
N'affolle pas leurs cuoeurs epoinçonnez,
Et quelque foys leurs cerveaux forcenez
Cessent leur rage et ne sont plus malades.
Le Corybente a quelquefoys repos,
Et le Curete aux piedz armez dispos,
Ne sent tousjours le Tan de sa deesse:
Mais la fureur de celle qui me joint,
En patience une heure ne me laisse
Et de ses yeulx tousjours le cuoeur me point.

CLXXXV

Bien que les champz, les fleuves et les lieux,
Les montz, les boys, que j'ay laissez derriere,
Me tiennent loing de ma doulce guerriere,
Astre fatal d'où s'ecoule mon mieux:
Quelque Demon par le congé des cieulx,
Qui presidoyent à mon ardeur premiere,
Conduit tousjours d'une aisle coustumiere
Sa belle image au sejour de mes yeulx.
Toutes les nuictz, impatient de haste,
Entre mes bras je rembrasse et retaste
Son ondoyant en cent formes trompeur:
Mais quand il voyt que content je sommeille,
Mocquant mes braz il s'enfuit, et m'esveille,
Me laissant plein de vergogne et de peur.

CLXXXVI

Il faisoyt chault, et le somme coulant
Se distilloyt dans mon ame songearde,
Quand l'incertain d'une idole gaillarde,
Fut doulcement mon dormir affolant.
Panchant soubz moy son bel ivoyre blanc,
Et mitirant sa langue fretillarde,
Me baisotoyt d'une lévre mignarde,
Bouche sur bouche et le flanc sus le flanc.
Que de coral, que de liz, que de roses,
Ce me sembloyt, à pleines mains descloses,
Tastay-je lors entre deux manimentz?
Mon dieu mon dieu, de quelle doulce aleine,
De quelle odeur estoyt sa bouche pleine,
De quelz rubiz, et de quelz diamantz!

CLXXXVII

Ces flotz jumeaulx de laict bien espoissi,
Vont et revont par leur blanche valée,
Comme à son bord la marine salée,
Qui lente va, lente revient aussi.
Une distance entre eulx se fait, ainsi
Qu'entre deux montz une sente esgalée,
En toutz endroitz de neige, devalée,
Soubz un hyver doulcement adoulci.
Là deux rubiz hault eslevez rougissent,
Dont les rayons cest ivoyre finissent
De toutes partz unyment arondis:
Là tout honneur, là toute grace abonde:
Et la beaulté, si quelqu'une est au monde,
Vole au sejour de ce beau paradis.

CLXXXVIII

Quelle langueur ce beau front deshonore?
Quel voile obscur embrunit ce flambeau?
Quelle palleur despourpre ce sein beau,
Qui per à per combat avec l'Aurore?
Dieu medecin, si en toy vit encore
L'antique feu du Thessale arbrisseau,
Las, pren pitié de ce teint damoyseau,
Et son lis palle en oeilletz recolore.
Et toy Barbu, fidelle gardien
Du temple assis au champ Rhagusien,
Deflamme aussi le tison de ma vie:
S'il vit, je vy, s'il meurt je ne suis riens:
Car tant son ame à la mienne est unie,
Que ses destins seront suyvis des miens.

CLXXXIX

D'un Ocëan qui nostre jour limite
Jusques à l'autre, on ne voit point de fleur,
Qui de beaulté, de grace et de valeur,
Puisse combatre au teint de Marguerite.
Si riche gemme en Orient eslite
Comme est son lustre affiné de bon heur,
N'emperla point de la Conche l'honneur
Où s'apparut Venus encore petite.
Le pourpre esclos du sang Adonien,
Le triste ai ai du Telamonien,
Ni des Indoys la gemmeuse largesse,
Ny toutz les biens d'un rivage estranger,
A leurs tresors ne sauroient eschanger
Le moindre honneur de sa double richesse.

CXC

Au plus profond de ma poytrine morte,
Sans me tuer une main je reçoy,
Qui me pillant entraine avecque soy
Mon cuoeur captif, que maistresse elle emporte.
Coustume inique, et de mauvaise sorte,
Malencontreuse et miserable loy,
Tant à grand tort, tant tu es contre moy,
Loy sans raison, miserablement forte.
Fault il que veuf, seul entre mille ennuiz,
Mon lict desert je couve tant de nuictz
Hà, que je porte et de haine, et d'envie
A ce Vulcan ingrat, et sans pitié,
Qui s'opposant aux raiz de ma moytié,
Fait eclipser le Soleil de ma vie.

CXCI

Ren moy mon cuoeur, ren moy mon cuoeur, pillarde,
Que tu retiens dans ton sein arresté:
Ren moy, ren moy ma doulce liberté
Qu'à tes beaulx yeux mal caut je mis en garde.
Ren moy ma vie, ou bien la mort retarde,
Qui me devance au cours de ta beaulté,
Par ne scay quelle honneste cruaulté,
Et de plus pres mes angoisses regarde.
Si d'un trespas tu payes ma langueur,
L'âge à venir maugrayant ta rigueur,
Dira sus toy: De ceste fiere amie
Puissent les oz reposer durement,
Qui de ses yeulx occit meurtrierement
Un qui l'avoyt plus chere que sa vie.

CXCII

Quand le grand oeil dans les Jumeaux arrive,
Un jour plus doulx seréne l'Univers,
D'espicz crestez ondoyent les champz verdz,
Et de couleurs se peinture la rive.
Mais quand sa fuite obliquement tardive,
Par le sentier qui roulle de travers,
Atteint l'Archer, un changement divers
De jour, d'espicz, et de couleurs les prive.
Ainsi quand l'oeil de ma deesse luit,
Dedans mon cuoeur, dans mon cuoeur se produit
Un beau printemps qui me donne asseurance:
Mais aussi tost que son rayon s'enfuit,
De mon printempz il avorte le fruit,
Et à myherbe il tond mon esperance.

CXCIII

Fauche, garçon, d'une main pilleresse,
Le bel esmail de la verte saison,
Puis à plein poing enjonche la maison
Du beau tapis de leur meslange espaisse.
Despen du croc ma lyre chanteresse:
Je veus charmer, si je puis la poison,
Dont un bel oeil, sorcela ma raison
Par la vertu d'une oeillade maistresse.
Donne moy l'encre, et le papier aussi
En cent papiers tesmoingz de mon souci,
Je veux tracer la peine que j'endure:
En cent papiers plus durs que diamant,
A celle fin que la race future
Juge du mal que je soufre en aymant.

CXCIV

Les vers d'Homere entreleuz d'avanture,
Soit par destin, par rencontre, ou par sort,
En ma faveur chantent tous d'un accord
La garison du tourment que j'endure.
Ces vieux Barbuz, qui la chose future,
Des traitz des mains, du visage, et du port,
Vont predisant, annoncent reconfort
Aux passions de ma peine si dure.
Mesmes la nuict, le somme qui vous mét
Doulce en mon lict, augure, me promet
Que je verray voz fiertez adoucies:
Et que vous seule, oracle de l'amour,
Vérifirez dans mes braz quelque jour,
L'arrest fatal de tant de propheties.

CXCV

Un sot Vulcan ma Cyprine faschoit,
Mais elle apart qui son courroux ne cele
L'un de ses yeulx arma d'une estincelle,
De l'autre un lac sur sa face espanchoit.
Tandis Amour qui petit se cachoit
Folastrement dans le sein de la belle,
En l'oeil humide alloit baignant son aisle,
Puis en l'ardent ses plumes il sechoit.
Ainsi voit on quelquefois en un temps,
Rire et pleurer le soleil du printemps,
Quand une nuë à demy le traverse.
L'un dans les miens darda tant de liqueur,
Et l'autre apres tant de flammes au cuoeur,
Que pleurs et feux depuis l'heure je verse.

CXCVI

Mon dieu, quel dueil, et quelles larmes sainctes,
Et quelz souspirs Madame alloit formant,
Et quelz sanglotz, alors que le tourment
D'un teint de mort ses graces avoit peintes.
Croysant ses mains à l'estomac estraintes
Fichoit au ciel son regard lentement,
Et triste apart pleuroit si tristement,
Que les rochers se brisoyent de ses plaintes.
Les cieux fermez aux criz de sa douleur,
Changeans de front, de grace et de couleur,
Par sympathie en devindrent malades:
Tous renfrognez les astres secouoyent
Leurs raiz du chef, telles pitiez nouoyent
Dans le cristal de ses moytes oeillades.

CXCVII

Le feu jumeau de Madame brusloit
Par le rayon de sa flamme divine,
L'amas pleureux d'une obscure bruine
Qui de leur jour la lumière celoit.
Un bel argent chauldement s'escouloit
Dessus sa joue, en la gorge ivoyrine,
Au paradis de sa chaste poitrine,
Où l'Archerot ses flesches esmouloit.
De neige tiede estoit sa face pleine,
D'or ses cheveux, ses deux sourciz d'ebéne,
Ses yeulx m'estoyent un bel astre fatal:
Roses et liz, où la douleur contrainte
Formoit l'accent de sa juste complainte,
Feu ses souspirs, ses larmes un crystal.

CXCVIII

Celuy qui fit le monde façonné
Sur le compas de son parfait exemple,
Le couronnant des voustes de son temple,
M'a par destin ton esclave ordonné.
Comme l'esprit, qui sainctement est né
Pour voyr son dieu, quand sa face il contemple,
De touts ses maulx un salaire plus ample
Que de le voyr, ne luy est point donné:
Ainsi je pers ma peine coustumiere,
Quand à longz traitz j'oeillade la lumiere
De ton bel oeil, chefdoeuvre nompareil.
Voyla pour quoy, quelque part qu'il sejourne,
Tousjours vers luy maulgré moy je me tourne,
Comme un Souci aux rayons du soleil.

CXCIX

Que Gastine ait tout le chef jaunissant
De maint citron et mainte belle orenge,
Que toute odeur de toute terre estrange,
Aille par tout noz plaines remplissant.
Le Loyr soit laict, son rempart verdissant
En un tapis d'esmeraudes se change,
Et le sablon, qui dans Braye se range,
D'arenes d'or soit par tout blondissant.
Pleuve le ciel des parfumz et des roses,
Soyent des grands ventz les aleines encloses,
La mer soit calme, et l'air plein de bon heur:
Voici le jour, que l'enfant de mon maistre,
Naissant au monde, au monde a fait renaistre
La foy premiere, et le premier honneur.

CC

Jeune Herculin, qui des le ventre sainct
Fus destiné pour le commun service,
Et qui naissant rompis la teste au vice
De ton beau nom dedans les astres peint:
Quand l'age d'homme aura ton cuoeur atteint,
S'il reste encor quelque trac de malice,
Le monde adonc ployé soubz ta police
Le pourra voyr totalement estaint.
En ce pendant crois enfant, et prospere,
Et sage apren les haultz faitz de ton pere,
Et ses vertuz, et les honneurs des Roys.
Puis aultre Hector tu courras à la guerre,
Aultre Jason tu t'en iras conquerre,
Non la toison, mais les champz Navarroys.