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Normale Version: Les Amours 000 - 050
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Voeu

Divin troupeau, qui sur les rives molles
Du fleuve Eurote, ou sur le mont natal,
Ou sur le bord du chevalin crystal,
Assis, tenez vos plus sainctes escolles:
Si quelque foys aux saultz de vos carolles
M'avez receu par ung astre fatal,
Plus dur qu'en fer, qu'en cuyvre ou qu'en metal,
Dans vostre temple engravez ces paroles:
Ronsard, affin que le siecle a venir,
De pere en filz se puisse souvenir,
D'une beauté qui sagement affolé,
De la main dextre append a nostre autel,
L'humble discours de son livre immortel,
Son cuoeur de l'autre, aux piedz de ceste idole.

I

Qui voudra voyr comme un Dieu me surmonte,
Comme il m'assault, comme il se fait vainqueur,
Comme il r'enflamme, et r'englace mon cuoeur,
Comme il reçoit un honneur de ma honte,
Qui voudra voir une jeunesse prompte
A suyvre en vain l'object de son malheur,
Me vienne voir: il voirra ma douleur,
Et la rigueur de l'Archer qui me donte.
Il cognoistra combien la raison peult
Contre son arc, quand une foys il veult
Que nostre cuoeur son esclave demeure:
Et si voirra que je suis trop heureux,
D'avoir au flanc l'aiguillon amoureux,
Plein du venin dont il fault que je meure.

II

Nature ornant la dame qui devoyt
De sa douceur forcer les plus rebelles,
Luy fit present des beautez les plus belles,
Que des mille ans en espargne elle avoyt
Tout ce qu'Amour avarement couvoyt,
De beau, de chaste, et d'honneur soubz ses ailles,
Emmiella les graces immortelles
De son bel oeil qui les dieux emouvoyt.
Du ciel à peine elle estoyt descendue,
Quand je la vi, quand mon ame ésperdue
En devint folle: et d'un si poignant trait,
Le fier destin l'engrava dans mon ame,
Que vif ne mort, jamais d'une aultre dame
Empraint au cuoeur je n'auray le portraict.

III

Dans le serain de sa jumelle flamme
Je vis Amour, qui son arc desbandoit,
Et sus mon cuoeur le brandon éspandoit,
Qui des plus froids les moëlles enflamme.
Puis çà puis là pres les yeulx de ma dame
Entre cent fleurs un retz d'or me tendoit,
Qui tout crespu blondement descendoit
A flotz ondez pour enlasser mon ame.
Qu'eussay-je faict l'Archer estoit si doulx,
Si doulx son feu, si doulx l'or de ses noudz,
Qu'en leurs filetz encore je m'oublie:
Mais cest oubli ne me tourmente point,
Tant doulcement le doulx Archer me poingt,
Le feu me brusle, et l'or crespe me lie.

IV

Je ne suis point, ma guerriere Cassandre,
Ne Myrmidon, ne Dolope souldart,
Ne cest Archer, dont l'homicide dart
Occit ton frere, et mit ta ville en cendre.
En ma faveur pour esclave te rendre
Un camp armé d'Aulide ne depart,
Et tu ne voys au pied de ton rempart
Pour t'emmener mille barques descendre.
Mais bien je suis ce Chorébe insensé,
Qui pour t'amour ay le cuoeur offensé,
Non de la main du Gregeois Penelée:
Mais de cent traitz qu'un Archerot vainqueur,
Par une voye en mes yeulx recelée,
Sans y penser me ficha dans le cuoeur.

V

Pareil j'egalle au soleil que j'adore
L'autre soleil. Cestuy là de ses yeulx
Enlustre, enflamme, enlumine les cieulx
Et cestuy ci toute la terre honore.
L'art, la Nature et les Astres encore
Les Elements, les Graces et les Dieux
Ont prodigué le parfaict de leur mieux,
Dans son beau jour qui le nostre décore.
Heureux, cent foys heureux, si le destin
N'eust emmuré d'un fort diamantin
Si chaste cuoeur dessoubz si belle face:
Et plus heureux si je n'eusse arraché
Mon cuoeur de moy, pour l'avoyr attaché
De cloudz de feu sur le froid de sa glace.

VI

Ces liens d'or, ceste bouche vermeille,
Pleine de lis, de roses, et d'oeuilletz,
Et ces couraulx chastement vermeilletz,
Et ceste joue à l'Aurore pareille:
Ces mains, ce col, ce front, et ceste oreille,
Et de ce sein les boutons verdeletz,
Et de ces yeulx les astres jumeletz,
Qui font trembler les ames de merveille:
Feirent nicher Amour dedans mon sein,
Qui gros de germe avoit le ventre plein,
D'oeufz non formez et de glaires nouvelles.
Et luy couvant (qui de mon cuoeur jouit
Neuf mois entiers) en un jour m'eclouit
Mille amoureaux chargez de traits et d'aisles.

VII

Bien qu'à grand tort il te plaist d'allumer
Dedans mon cuoeur, siege à ta seigneurie,
Non d'une amour, ainçois d'une furie
Le feu cruel pour mes os consumer,
L'aspre torment ne m'est point si amer,
Qu'il ne me plaise, et si n'ay pas envie
De me douloir: car je n'ayme ma vie
Si non d'autant qu'il te plaist de l'aimer.
Mais si les cieulx m'ont fait naistre, Ma dame.
Pour estre tien, ne genne plus mon ame,
Mais pren en gré ma ferme loyaulté.
Vault il pas mieulx en tirer du service,
Que par l'horreur d'un cruel sacrifice,
L'occire aux piedz de ta fiere beauté?

VIII

Lors que mon oeil pour t'oeillader s'amuse,
Le tien habile à ses traits decocher,
Estrangement m'empierre en un rocher,
Comme au regard d'une horrible Meduse.
Moy donc rocher, si dextrement je n'use
L'outil des Seurs pour ta gloire esbaucher,
Qu'un seul Tuscan est digne de toucher,
Non le changé, mais le changeur accuse.
Las, qu'ay je dit? Dans un roc emmuré,
En te blamant je ne suis asseuré,
Tant j'ay grand peur des flammes de ton ire,
Et que mon chef par le feu de tes yeux
Soit diffamé, comme les monts d'Epire
Sont diffamez par les flammes des cieulx.

IX

Le plus toffu d'un solitaire boys,
Le plus aigu d'une roche sauvage,
Le plus desert d'un separé rivage,
Et la frayeur des antres les plus coys:
Soulagent tant les soupirs de ma voix,
Qu'au seul escart de leur secret ombrage,
Je sens garir une amoureuse rage,
Qui me raffolle au plus verd de mes moys.
Là, renversé dessus leur face dure,
Hors de mon sein je tire une peinture,
De touts mes maulx le seul allegement,
Dont les beaultez par Denisot encloses,
Me font sentir mille metamorphoses
Tout en un coup, d'un regard seulement.

X

Je pais mon cuoeur d'une telle ambrosie,
Que je ne suis à bon droit envieux
De ceste là qui le pere des dieux
Chez l'Ocean friande resasie.
Celle qui tient ma liberté saisie,
Voire mon cuoeur dans le jour de ses yeux,
Nourrist ma faim d'un fruict si precieux,
Qu'autre appareil ne paist ma fantaisie.
De l'avaller je ne me puis lasser,
Tant le plaisir d'un variant penser
Mon appetit nuict et jour faict renaistre.
Et si le fiel n'amoderoit un peu
Le doux du miel duquel je suis repeu,
Entre les dieux, dieu je ne voudroys estre.

XI

Amour, amour, donne moy paix ou trefve,
Ou bien retire, et d'un garrot plus fort
Tranche ma vie, et m'avance la mort,
Me bienheurant d'une langueur plus bréve.
Soit que le jour ou se couche, ou se leve,
Je sens tousjours un penser qui me mord,
Et contumax au cours de son effort,
De pis en pis mes angoisses r'engreve.
Que dois je faire? Amour me faict errer,
Si haultement que je n'ose esperer
De mon salut que la desesperance.
Puis qu'Amour donc ne me veult secourir
Pour me deffendre il me plaist de mourir,
Et par la mort trouver ma delivrance?

XII

J'espere et crains, je me tais et supplie,
Or je suis glace et ores un feu chault,
J'admire tout, et de rien ne me chault,
Je me delace, et puis je me relie.
Rien ne me plaist si non ce qui m'ennuye,
Je suis vaillant, et le cuoeur me default,
J'ay l'espoir bas, j'ay le courage hault,
Je doubte Amour, et si je le deffie.
Plus je me picque, et plus je suis restif,
J'ayme estre libre, et veulx estre captif,
Cent foys je meur, cent foys je prens naissance.
Un Promethée en passions je suis,
Et pour aymer perdant toute puissance,
Ne pouvant rien je fay ce que je puis.

XIII

Pour estre en vain tes beaulx soleilz aymant,
Non pour ravir leur divine estincelle,
Contre le roc de ta rigueur cruelle
Amour m'atache à mille cloux d'aymant.
En lieu d'un Aigle, un soing horriblement
Claquant du bec, et siflant de son aille,
Ronge goulu ma poictrine immortelle,
Par un desir qui naist journellement.
Mais de cent maulx, et de cent que j'endure,
Fiché, cloué, dessus ta rigueur dure,
Le plus cruel me seroit le plus doulx,
Si j'esperoys, apres un long espace,
Venir vers moy l'Hercule de ta grace
Pour delacer le moindre de mes nouds.

XIV

Je vy tes yeulx desoubz telle planette,
Qu'autre plaisir ne me peult contenter,
Si non le jour, si non la nuict, chanter,
Allege moy doulce plaisant' brunette.
O liberté combien je te regrette!
Combien le jour que je vy t'absenter,
Pour me laisser sans espoir tourmenter.
En ceste genne, où si mal on me traicte!
L'an est passé, le vingtuniesme jour
Du mois d'Avril, que je vins au sejour,
De la prison, où les amours me pleurent:
Et si ne voy (tant les liens sont fors)
Un seul moyen pour me tirer dehors,
Si par la mort toutes mes mors ne meurent.

XV

Hé qu'à bon droit les Charites d'Homere
Un faict soudain comparent au penser,
Qui parmy l'air scauroit bien devancer
Le Chevalier qui tua la Chimaire.
Si tost que luy une nef passagere
De mer en mer ne pourroit s'élancer,
Ny par les champs ne le sçauroit lasser
Du faux et vray la prompte messagere.
Le vent Borée ignorant le repos,
Conceut le mien, qui viste et qui dispos,
Et dans le ciel, et par la mer encore,
Et sur les champs, fait aillé belliqueur,
Comme un Zethés, s'envolle apres mon cueur,
Qu'une Harpye humainement devore.

XVI

Je veulx darder par l'univers ma peine,
Plus tost qu'un trait ne volle au descocher:
Je veulx de miel mes oreilles boucher
Pour n'ouir plus la voix de ma Sereine.
Je veulx muer mes deux yeulx en fontaine,
Mon cuoeur en feu, ma teste en un rocher,
Mes piedz en tronc, pour jamais n'aprocher
De sa beaulté si fierement humaine.
Je veulx changer mes pensers en oyseaux,
Mes doux souspirs en zephyres nouveaux,
Qui par le monde evanteront ma pleinte.
Et veulx encor de ma palle couleur,
Dessus le Loyr enfanter une fleur,
Qui de mon nom et de mon mal soit peinte.

XVII

Par un destin dedans mon cuoeur demeure,
L'oeil, et la main, et le crin delié,
Qui m'ont si fort, bruslé, serré, lié
Qu' ars, prins, lassé, par eulx fault que je meure.
Le feu, la serre, et le ret à toute heure,
Ardant, pressant, nouant mon amitié,
Occise aux piedz de ma fiere moitié
Font par sa mort ma vie estre meilleure.
Oeil, main et crin, qui flammez et gennez,
Et r'enlassez mon cuoeur que vous tenez:
Au labyrint de vostre crespe voye.
Hé que ne suis je Ovide bien disant!
Oeil tu seroys un bel Astre luisant,
Main un beau lis, crin un beau ret de soye.

XVIII

Un chaste feu qui les cuoeurs illumine,
Un or frisé de meint crespe annelet,
Un front de rose, un teint damoiselet,
Un ris qui l'ame aux astres achemine:
Une vertu de telles beaultez digne,
Un col de neige, une gorge de laict,
Un cuoeur ja meur dans un sein verdelet,
En dame humaine une beaulté divine
Un oeil puissant de faire jours les nuictz,
Une main forte à piller les ennuiz,
Qui tient ma vie en ses doitz enfermée,
Avecque un chant offensé doulcement
Ore d'un ris, or d'un gémissement:
De telz sorciers ma raison fut charmée.

XIX

Avant le temps tes temples fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant ton soir, se clorra ta journée,
Trahis d'espoir tes pensers periront.
Sans me fleschir tes escriptz flétriront,
En ton desastre ira ma destinée,
Ta mort sera pour m'amour terminée,
De tes souspirs tes nepveux se riront.
Tu seras faict d'un vulgaire la fable,
Tu bastiras sur l'incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieulx:
Ainsi disoit la Nymphe qui m'afolle,
Lors que le ciel pour séeller sa parolle
D'un dextre ésclair fut presage à mes yeulx.

XX

Je vouldroy bien richement jaunissant
En pluye d'or goute à goute descendre
Dans le beau sein de ma belle Cassandre,
Lors qu'en ses yeulx le somme va glissant.
Je vouldroy bien en toreau blandissant
Me transformer pour finement la prendre,
Quand elle va par l'herbe la plus tendre
Seule à l'escart mille fleurs ravissant.
Je vouldroy bien afin d' aiser ma peine
Estre un Narcisse, et elle une fontaine
Pour m'y plonger une nuict à sejour:
Et vouldroy bien que ceste nuict encore
Durast tousjours sans que jamais l'Aurore
D'un front nouveau nous r'allumast le jour.

XXI

Qu'Amour mon cuoeur, qu'Amour mon ame sonde,
Lui qui congnoist ma seulle intention,
Il trouvera que toute passion
Veuve d'espoir, par mes veines abonde.
Mon Dieu que j'ayme! est il possible au monde
De voyr un cuoeur si plein d'affection,
Pour le parfaict d'une perfection,
Qui m'est dans l'ame en playe si profonde?
Le cheval noir qui ma Royne conduit
Par le sentier où ma Chair la seduit,
A tant erré d'une vaine traverse,
Que j'ay grand peur, (si le blanc ne contraint
Sa course vague, et ses pas ne refraint
Dessoubz le joug) que ma raison ne verse.

XXII

Cent et cent foys penser un penser mesme,
A deux beaulx yeulx montrer à nud son cuoeur,
Se desoyfver d'une amere liqueur,
S'aviander d'une amertume estresme:
Avoyr la face amoureusement blesme,
Plus souspirer, moins fleschir la rigueur,
Mourir d'ennuy, receler sa langueur,
Du vueil d'aultruy des loix faire à soy mesme:
Un court despit, une aimantine foy,
Aymer trop mieulx son ennemi que soy,
Peindre en ses yeulx mille vaines figures:
Vouloir parler et n'oser respirer,
Esperer tout et se desesperer,
Sont de ma mort les plus certains augures.

XXIII

Ce beau coral, ce marbre qui souspire,
Et cest ébénne ornement d'un sourci,
Et cest albastre en vouste racourci,
Et ces zaphirs, ce jaspe, et ce porphyre,
Ces diaments, ces rubis qu'un zephyre
Tient animez d'un souspir adouci,
Et ces oeilletz, et ces roses aussi,
Et ce fin or, où l'or mesme se mire,
Me sont au cuoeur en si profond esmoy,
Qu'un autre object ne se présente à moy,
Si non le beau de leur beau que j'adore,
Et le plaisir qui ne se peult passer
De les songer, penser, et repenser,
Songer, penser, et repenser encore.

XXIV

Tes yeulx divins me promettent le don
Qui d'un espoir me r'enflamme et r'englace,
Las, mais j'ay peur qu'ilz tiennent de la race
De ton ayeul le roy Laomedon.
Au flamboyer de leur double brandon
De peu à peu l'esperance m'embrasse,
Ja prevoyant par le ris de leur grace
Que mon service aura quelque guerdon.
Tant seulement ta bouche m'espouvante,
Bouche vrayment qui prophéte me chante
Tout le rebours de tes yeulx amoureux.
Ainsi je vis, ainsi je meurs en doubte
L'un me r'appelle, et l'autre me reboute,
D'un seul object heureux et malheureux.

XXV

Ces deux yeulx bruns, deux flambeaulx de ma vie,
Dessus les miens fouldroyans leur clarté,
Ont esclavé ma jeune liberté,
Pour la damner en prison asservie.
De voz doulx feux ma raison fut ravie,
Si qu'esblouy de vostre grand' beaulté,
Opiniastre à garder loyaulté
Aultres yeulx voyr depuis je n'euz envie.
D'autre esperon mon Tyran ne me poingt,
Aultres pensers en moy ne couvent point,
Ny aultre idole en mon cuoeur je n'adore.
Ma main ne sçait cultiver aultre nom,
Et mon papier n'est esmaillé, si non
De voz beaultez que ma plume colore.

XXVI

Plus tost le bal de tant d'astres divers
Sera lassé, plus tost la terre et l'onde,
Et du grand Tout l'ame en tout vagabonde
Animera les abysmes ouverts:
Plus tost les cieulx des mers seront couverts,
Plus tost sans forme ira confus le monde:
Que je soys serf d'une maistresse blonde,
Ou que j'adore une femme aux yeulx verds.
Car cest oeil brun qui vint premier esteindre
Le jour des miens, les sceut si bien attaindre,
Qu'autre oeil jamais n'en sera le vainqueur.
Et quant la mort m'aura la vie ostée,
Encor là bas je veulx aymer l'Idée
De ces beaulx yeulx que j'ay fichez au cuoeur.

XXVII

Bien mille fois et mille j'ay tenté
De fredonner sus les nerfz de ma lyre,
Et sus le blanc de cent papiers escrire,
Le nom, qu'Amour dans le cuoeur m'a planté.
Mais tout soubdain je suis espovanté,
Car sa grandeur qui l'esprit me martyre
Sans la chanter arriere me retire
De cent fureurs pantoyment tourmenté.
Je suis semblable à la prestresse folle,
Qui bégue perd la voix et la parolle,
Dessoubz le Dieu qu'elle fuit pour neant.
Ainsi picqué de l'Amour qui me touche
Si fort au cuoeur, la voix fraude ma bouche,
Et voulant dire en vain je suis béant.

XXVIII

Injuste amour, fuzil de toute rage,
Que peult un cuoeur soubmis à ton pouvoyr,
Quand il te plaist par les sens esmouvoyr
Nostre raison qui preside au courage?
Je ne voy pré, fleur, antre, ny rivage,
Champ, roc, ny boys, ny flotz dedans le Loyr,
Que, peinte en eulx, il ne me semble voyr
Ceste beaulté qui me tient en servage.
Ores en forme, ou d'un foudre enflammé,
Ou d'une nef ou d'un Tigre affamé,
Amour la nuict devant mes yeulx la guide:
Mais quand mon bras en songe les poursuit,
Le feu, la nef, et le Tigre s'enfuit,
Et pour le vray je ne pren que le vuide.

XXIX

Si mille oeilletz, si mille liz j'embrasse,
Entortillant mes bras tout alentour,
Plus fort qu'un cep, qui d'un amoureux tour,
La branche aymée impatient enlasse:
Si le souci ne jaunist plus ma face,
Si le plaisir fonde en moy son sejour,
Si j'ayme mieulx les ombres que le jour,
Songe divin, cela vient de ta grace.
Avecque toy je volleroys aux cieulx,
Mais ce portraict qui nage dans mes yeulx,
Fraude tousjours ma joye entrerompuë.
Et tu me fuis au meillieu de mon bien,
Comme l'esclair qui se finist en rien,
Ou comme au vent s'esvanouit la nuë.

XXX

Ange divin, qui mes playes embasme,
Le truchement et le herault des Dieux,
De quelle porte es tu coullé des cieulx
Pour soulager les peines de mon ame?
Toy, quand la nuict comme un fourneau m'enflamme,
Ayant pitié de mon mal soulcieux,
Or dans mes bras, ore dedans mes yeulx,
Tu fais nouer l'idole de ma Dame.
Las, où fuis tu? Atten encor un peu,
Que vainement je me soye repeu
De ce beau sein, dont l'appetit me ronge,
Et de ces flancz qui me font trespasser:
Sinon d'effect, seuffre au moins que par songe
Toute une nuict je les puisse embrasser.

XXXI

Aillez Démons, qui tenez de la terre,
Et du hault ciel justement le meillieu:
Postes divins, divins postes de Dieu,
Qui ses segretz nous apportez grand erre.
Dictes Courriers (ainsi ne vous enserre
Quelque sorcier dans un cerne de feu)
Rasant noz champz, dictes, avous point veu
Ceste beaulté qui tant me fait de guerre?
Si l'un de vous la contemple çà bas,
Libre par l'air il ne refuira pas,
Tant doulcement sa doulce force abuse.
Ou, comme moy, esclave le fera
Ou bien en pierre ell'le transformera
D'un seul regard ainsi qu'une Meduse.

XXXII

Quand au premier la Dame que j'adore
Vint embellir le sejour de noz cieulx,
Le filz de Rhée appella tous les Dieux,
Pour faire encor d'elle une aultre Pandore.
Lors Apollin richement la decore,
Or, de ses raiz luy façonnant les yeulx,
Or, luy donnant son chant melodieux,
Or, son oracle et ses beaulx vers encore.
Mars luy donna sa fiere cruaulté,
Peithon sa voix, Ceres son abondance.
L'Aube ses doigtz et ses crins deliez,
Amour son arc, Thetis donna ses piedz,
Cleion sa gloyre, et Pallas sa prudence.

XXXIII

D'un abusé je ne seroy la fable,
Fable future au peuple survivant,
Si ma raison alloyt bien ensuyvant
L'arrest fatal de ta voix veritable.
Chaste prophete, et vrayment pitoyable,
Pour m'avertir tu me prediz souvent,
Que je mourray, Cassandre, en te servant:
Mais le malheur ne te rend point croyable.
Car ton destin, qui cele mon trespas,
Et qui me force à ne te croyre pas,
D'un faulx espoir tes oracles me cache.
Et si voy bien, veu l'estat où je suis,
Que tu dis vray: toutesfoys je ne puis
D'autour du col me desnouer l'attache.

XXXIV

Las, je me plain de mille et mille et mille
Souspirs, qu'en vain des flancz je vois tirant,
Heureusement mon plaisir martirant
Au fond d'une eau qui de mes pleurs distille.
Puis je me plain d'un portraict inutile,
Ombre du vray que je suis adorant,
Et de ces yeulx qui me vont devorant,
Le cuoeur bruslé d'une flamme gentille.
Mais parsus tout je me plain d'un penser,
Qui trop souvent dans mon cuoeur faict passer
Le souvenir d'une beaulté cruelle,
Et d'un regret qui me pallist si blanc,
Que je n'ay plus en mes veines de sang,
Aux nerfz de force, en mes oz de moëlle.

XXXV

Puisse avenir, qu'une fois je me vange
De ce penser qui devore mon cuoeur,
Et qui tousjours, comme un lion vainqueur,
Soubz soy l'estrangle, et sans pitié le mange.
Avec le temps, le temps mesme se change,
Mais ce cruel qui suçe ma vigueur,
Opiniatre au cours de sa rigueur,
En aultre lieu qu'en mon cuoeur ne se range.
Bien est il vray, qu'il contraint un petit
Durant le jour son segret appetit,
Et dans mes flancz ses griffes il n'allonge:
Mais quand la nuict tient le jour enfermé,
Il sort en queste, et Lion affamé,
De mille dentz toute nuict il me ronge.

XXXVI

Pour la douleur, qu'amour veult que je sente,
Ainsi que moy, Phebus, tu lamentoys,
Quand amoureux, loing du ciel tu chantoys
Pres d'Ilion sus les rives de Xanthe.
Pinçant en vain ta lyre blandissante,
Et fleurs, et flots, mal sain, tu echantoys,
Non la beaulté qu'en l'ame tu sentoys
Dans le plus doulx d'une playe esgrissante.
Là de ton teint se pallissoyent les fleurs,
Et l'eau croissant' du dégout de tes pleurs,
Parloit tes criz, dont elle roulloyt pleine:
Pour mesme nom, les fleuréttes du Loyr,
Pres de Vandosme, et daignent me douloyr,
Et l'eau se plaindre aux souspirs de ma peine.

XXXVII

Les petitz corps, culbutans de travers,
Parmi leur cheute en byaiz vagabonde
Hurtez ensemble, ont composé le monde,
S'entracrochans d'acrochementz divers.
L'ennuy, le soing, et les pensers ouvers,
Chocquans le vain de mon amour profonde,
Ont façonné d'une attache féconde,
Dedans mon cuoeur l'amoureux univers.
Mais s'il avient, que ces tresses orines,
Ces doigtz rosins, et ces mains ivoyrines
Froyssent ma vie, en quoy retournera
Ce petit tout? En eau, air, terre, ou flamme?
Non, mais en voix qui tousjours de ma dame
Par le grand Tout les honneurs sonnera.

XXXVIII

Doulx fut le traict, qu'Amour hors de sa trousse,
Pour me tuer me tira doulcement,
Quand je fuz pris au doulx commencement
D'une doulceur si doulcettement doulce.
Doulx est son ris, et sa voix qui me poulse
L'ame du corps, pour errer lentement,
Devant son chant marié gentement
Avec mes vers animez de son poulce.
Telle doulceur de sa voix coulle à bas,
Que sans l'ouir vrayment on ne scayt pas,
Comme en ses retz Amour nous encordelle:
Sans l'ouir, di-je, Amour mesme enchanter,
Doulcement rire, et doulcement chanter,
Et moy mourir doulcement aupres d'elle.

XXXIX

Pleut il à Dieu n'avoir jamais tâté
Si follement le tetin de m'amie!
Sans lui vraiment l'autre plus grande envie,
Helas! ne m'eut, ne m'eut jamais tanté.
Comme un poisson, pour s'estre trop hâté,
Par un apât, suit la fin de sa vie,
Ainsi je vois où la mort me convie,
D'un beau tetin doucement apâté.
Qui eut pensé, que le cruel destin
Eut enfermé sous un si beau tetin
Un si grand feu, pour m'en faire la proïe?
Avisés donc, quel seroit le coucher
Entre ses bras, puis qu'un simple toucher
De mille mors, innocent, me foudroïe.

XL

Contre mon gré l'atrait de tes beaus yeus
Donte mon coeur, mais quand je te veus dire
Quell'est ma mort, tu ne t'en fais que rire,
Et de mon mal tu as le coeur joïeus.
Puis qu'en t'aimant je ne puis avoir mieus,
Soufre du moins que pour toi je soupire:
Assés et trop ton bel oeil me martire,
Sans te moquer de mon mal soucieus.
Moquer mon mal, rire de ma douleur,
Par un dedain redoubler mon malheur,
Haïr qui t'aime, et vivre de ses pleintes,
Rompre ta foi, manquer de ton devoir,
Cela, cruelle, et n'est-ce pas avoir
Tes mains de sang, et d'homicide teintes?

XLI

Ha, seigneur dieu, que de graces écloses
Dans le jardin de ce sein verdelet,
Enflent le rond de deus gazons de lait,
Où des Amours les fléches sont encloses!
Je me transforme en cent metamorfoses,
Quand je te voi, petit mont jumelet,
Ains du printans un rosier nouvelet,
Qui le matin bienveigne de ses roses.
S'Europe avoit l'estomac aussi beau,
De t'estre fait, Jupiter, un toreau,
Je te pardonne. Hé, que ne sui-je puce!
La baisotant, tous les jours je mordroi
Ses beaus tetins, mais la nuit je voudroi
Que rechanger en homme je me pusse.

XLII

Quand au matin ma Deesse s'abille
D'un riche or crespe ombrageant ses talons,
Et que les retz de ses beaulx cheveux blondz
En cent façons ennonde et entortille:
Je l'accompare à l'escumiere fille,
Qui or peignant les siens jaunement longz,
Or les ridant en mille crespillons
Nageoyt abord dedans une coquille.
De femme humaine encore ne sont pas
Son ris, son front, ses gestes, ny ses pas,
Ny de ses yeulx l'une et l'autre chandelle:
Rocz, eaux, ny boys, ne celent point en eulx
Nymphe, qui ait si follastres cheveux,
Ny l'oeil si beau, ny la bouche si belle.

XLIII

Avec les liz, les oeilletz mesliez,
N'egallent point le pourpre de sa face:
Ny l'or filé ses cheveux ne surpasse,
Ore tressez et ore deliez.
De ses couraux en vouste repliez
Naist le doulx ris qui mes soulciz efface:
Et çà et là par tout où elle passe,
Un pré de fleurs s'esmaille soubz ses piedz.
D'ambre et de musq sa bouche est toute pleine.
Que diray plus? J'ay veu dedans la plaine,
Lors que plus fort le ciel vouloyt tançer,
Cent fois son oeil, qui des Dieux s'est faict maistre,
De Juppiter rasserener la dextre
Ja ja courbé pour sa fouldre eslancer.

XLIV

Ores l'effroy et ores l'esperance,
De ça de là se campent en mon cuoeur,
Or l'une vainq, ores l'autre est vainqueur,
Pareilz en force et en perseverance.
Ores doubteux, ores plain d'asseurance,
Entre l'espoyr et le froyd de la peur,
Heureusement de moy mesme trompeur,
Au cuoeur captif je prometz delivrance.
Verray-je point avant mourir le temps,
Que je tondray la fleur de son printemps,
Soubz qui ma vie à l'ombrage demeure?
Verray-je point qu'en ses bras enlassé,
De trop combatre honnestement lassé,
Honnestement entre ses bras je meure?

XLV

Je voudrois estre Ixion et Tantale,
Dessus la roüe, et dans les eaus là bas:
Et quelque fois presser entre mes bras
Cette beauté qui les anges égale.
(S'ainsin étoit) toute peine fatale
Me seroit douce, et ne me chaudroit pas,
Non d'un vautour fussai-je le repas,
Non, qui le roc remonte et redevale.
Lui tatonner seulement le tetin
Echangeroit l'oscur de mon destin
Au sort meilleur des princes de l'Asie:
Un demi dieu me feroit son baiser,
Et flanc à flanc entre ses bras m'aiser,
Un de ceus là qui mengent l'Ambrosie.

XLVI

Amour me tue, et si je ne veus dire
Le plaisant mal que ce m'est de mourir:
Tant j'ai grand peur, qu'on vueille secourir
Le mal, par qui doucement je soupire.
Il est bien vrai, que ma langueur desire
Qu'avec le tans je me puisse guerir:
Mais je ne veus ma dame requerir
Pour ma santé: tant me plaist mon martire.
Tai toi langueur: je sen venir le jour,
Que ma maistresse, apres si long sejour,
Voiant le soin qui ronge ma pensée,
Toute une nuit, folatrement m'aiant
Entre ses bras, prodigue, ira paiant
Les intérés de ma peine avancée.

XLVII

Je veus mourir pour tes beautés, Maistresse,
Pour ce bel oeil, qui me prit à son hain,
Pour ce dous ris, pour ce baiser tout plein
D'ambre, et de musq, baiser d'une Deesse.
Je veus mourir pour cette blonde tresse,
Pour l'embonpoint de ce trop chaste sein,
Pour la rigueur de cette douce main,
Qui tout d'un coup me guerit et me blesse.
Je veus mourir pour le brun de ce teint,
Pour ce maintien, qui, divin, me contreint
De trop aimer: mais par sus toute chose,
Je veus mourir es amoureus combas,
Souflant l'amour, qu'au coeur je porte enclose
Toute une nuit, au millieu de tes bras.

XLVIII

Dame, depuis que la premiere fléche
De ton bel oeil m'avança la douleur,
Et que sa blanche et sa noire couleur
Forçant ma force, au coeur me firent bréche:
Je sen toujours une amoureuse méche,
Qui se ralume au meillieu de mon coeur,
Dont le beau rai (ainsi comme une fleur
S'écoule au chaut) dessus le pié me séche.
Ni nuit, ne jour, je ne fai que songer,
Limer mon coeur, le mordre et le ronger,
Priant Amour, qu'il me tranche la vie.
Mais lui, qui rit du torment qui me point,
Plus je l'apelle, et plus je le convie,
Plus fait le sourd, et ne me répond point.

XLIX

Ni de son chef le tresor crépelu,
Ni de sa joüe une et l'autre fossette,
Ni l'embonpoint de sa gorge grassette,
Ni son menton rondement fosselu,
Ni son bel oeil que les miens ont voulu
Choisir pour prince à mon ame sugette,
Ni son beau sein, dont l'Archerot me gette
Le plus agu de son trait émoulu,
Ni de son ris les miliers de Charites,
Ni ses beautés en mile coeurs écrites,
N'ont esclavé ma libre affection.
Seul son esprit, où tout le ciel abonde,
Et les torrens de sa douce faconde,
Me font mourir pour sa perfection.

L

Mon dieu, mon dieu, que ma maistresse est belle!
Soit que j'admire ou ses yeus, mes seigneurs,
Ou de son front les dous-graves honneurs,
Ou l'Orient de sa levre jumelle.
Mon dieu, mon dieu, que ma dame est cruelle!
Soit qu'un raport rengrege mes douleurs,
Soit qu'un depit parannise mes pleurs,
Soit qu'un refus mes plaïes renouvelle.
Ainsi le miel de sa douce beauté
Nourrit mon coeur: ainsi sa cruauté
D'aluine amere enamere ma vie.
Ainsi repeu d'un si divers repas,
Ores je vi, ores je ne vi pas
Egal au sort des freres d'Oebalie.